Pour ne pas perdre son public, Bellorini reprend les extraits les plus familiers du livre puis installe le temps dans l’espace théâtre, habité par les deux arpenteurs de la mémoire Camille de la Guillonnière, s’appropriant les textes de Proust, comme se souvenant à voix haute, et Hélène Patarot, y mêlant son histoire personnelle.
Théâtre
Ainsi est né Sœurs, un texte comme sait en écrire Rambert, en forme de coup de poing. Un style tranchant, une écriture comme un point de couture, qui revient sur elle-même pour mieux avancer, une inspiration aiguë. Des rampes d’une lumière froide et brutale éclairent le plateau occupé par des empilements de chaises… Soudain, Marina et Audrey (elles conservent leur prénom) déboulent face à face, en diagonale comme sur un ring, deux combattantes affûtées pour la bataille, prêtes à se mesurer, chacune chargée d’un passif lourd gorgé de griefs et de ressentiments accumulés depuis l’enfance.
De cette expérience carcérale, elle tirera L’Université de Rebibbia, paru en 2013. Rebibbia est une prison de femmes dans la banlieue de Rome où l’auteure se retrouve enfermée et découvre la promiscuité. Elle doit se plier aux règles, apprendre les codes, cohabiter avec les autres détenues, prostituée, criminelle, droguée, militante politique… Le quotidien s’organise, les affinités émergent, la personnalité de Goliarda apaise les violences, attire et fédère les sympathies.
L’ombre du philosophe du pessimisme rode sur le texte de Yasmina Reza. « Il s’agit de quatre brefs passages en revue de l’existence par des voix différentes et paradoxales. Ou encore une variation sur la solitude humaine et les stratégies. Des leurres ?» Ainsi l’auteur parle-t-elle de sa pièce, à l’origine un texte devenu objet théâtral par l’intervention de Frédéric Bélier-Garcia, son metteur en scène.
Molière écrit sa comédie en 1662. Recadrée dans un décor actuel, comment ne pas voir dans ce personnage torturé, à la perversité aiguisée (il feint d’endosser un rôle de père avant de se prétendre mari) un de ces prédateurs sexuels qui sévissent toujours et qui pourraient être dénoncés aujourd’hui par les réseaux sociaux.
Après avoir écrit Les derniers jours de Stefan Zweig, Laurent Seksik a adapté Le Monde d’hier pour la scène en un découpage qui en extrait les moments forts. Dans une interprétation sobre, tendue et fine, Jérôme Kircher dit l’émotion de Zweig,
Une femme arpente le plateau, aux planches traversées ici et là par des herbes folles. Elle est seule, elle déambule, en attente… comme le public. En attente de mots, de texte. En attente de théâtre. Cette femme est un personnage réel, Cristina Vidal, souffleuse au théâtre dont Rodrigues a pris la direction en 2014. Elle exerce son métier depuis quarante ans. Gardienne des mots des autres, elle les souffle quand la mémoire vient à flancher.
Alain Françon avait demandé une nouvelle traduction à Myriam Tanant. Pour cette spécialiste de Goldoni, disparue en février dernier, La Locandiera aura été la dernière traduction d’un auteur qu’elle admirait, et aimait. On entend ce texte clair, incisif, comme ravivé, notamment dans la partition du rôle-titre. On est à Venise, en 1752, dans une pension tenue par Mirandolina, que l’on peut voir comme une femme en avance sur son époque. Mais ce n’est pas par idéologie que Mirandolina est indépendante, c’est pour pouvoir continuer à mener, et « faire tourner » son affaire comme elle l’entend, une auberge héritée de son père, décédé quelques mois plus tôt.
C’est allongé sur le sol que l’on découvre le spectacle mis en espace par Roland…
Sur les pertes de mémoire, maladie d’Alzheimer ou oublis liés à l’âge, le texte de l’auteur québécois François Archambault est juste, sensible et pudique. Que ce soit le « malade » ou ses proches, les portraits sont délicats, en particulier celui d’Edouard, à la fois conscient et inconséquent. En scènes courtes, l’auteur dresse un état des lieux d’une maladie à laquelle beaucoup sont confrontés.