Fin de partie

Au Théâtre de l’Atelier, Jacques Osinski met en scène la pièce de Beckett, avec Denis Lavant et Frédéric Leidgens. Forcément sublime

Après Cap au pire, La dernière bande, Words and music et L’image, Jacques Osinski poursuit son cycle Beckett avec sa pièce préférée, Fin de partie, créée en 1957 par Roger Blin et devenue un classique intemporel. Et pour cause, le temps est au cœur de la pièce. Après En attendant Godot, et avant La dernière bande, Samuel Beckett creuse la vacuité de l’existence, les affres de la condition humaine. Tant que l’on n’est pas mort, l’on est encore en vie. Une lapalissade bien sûr, que les personnages de Beckett illustrent pleinement. Ils vont « finir », oui, bientôt peut-être, mais quand ? Impossible de savoir. Alors, en attendant cette fin, ils continuent à vivre, et donc à jouer. L’un, Hamm, cloué dans un fauteuil roulant, aveugle, l’autre, Clov, à son service, regardant par la fenêtre ce qui se passe à l‘extérieur, assurant les choses essentielles : « A quoi est-ce que je sers ? » « A me donner la réplique. » Un maître et son serviteur ? Un père et son fils adopté ? Mystère. Et peu importe. Le véritable enjeu est la fin. Et comment y arriver. « Quelque chose suit son cours. » La fin du monde ?

Théâtre dans le théâtre

Mystère aussi de l’extérieur… Tout est scrupuleusement décrit dans le texte : la pièce, les accessoires, les déplacements et les moindres gestes. Beckett souhaitait que l’on respecte ses didascalies, qui sont partie intégrante du texte. Impossible, pour le metteur en scène, de déroger à la règle. Tout est alors dans l’interprétation des silences, des mots, l’intonation. « Les grains s’ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c’est un tas, un petit tas, l’impossible tas. » C’est doux et lancinant, mélancolique et absurde, burlesque et vertigineux. Hamm et Clov n’en finissent pas de finir jusqu’à « l’impossible tas ». Soit Frédéric Leitgens et Denis Lavant. Le premier, réplique de Roger Blin dans le rôle de Hamm, mais avec toute sa singulière personnalité, sa voix profonde, le deuxième, dans un jeu très physique, mécanique mais intensément incarné, rappelant la gestuelle de Buster Keaton (pour qui l’auteur irlandais avait écrit un scénario de film). Lavant déploie au plus haut l’art d’un clown alliant la drôlerie et la métaphysique. Les deux comédiens, et leurs partenaires Claudine Delvaux et Peter Bonke, excellents, interprètent jusqu’au sublime ce chef d’œuvre littéraire. Le constat est lucide, jamais triste ou sinistre, relayé par une énergie vitale formidablement rendue par l’interprétation. La pièce, immense, réactive des résonances multiples, sur la Résistance (à laquelle participa activement Beckett), l’écologie… et n’en finit pas d’interroger.  

(vu au Théâtre des Halles, à Avignon, juillet 2022)

Fin de partie        * * * *

Théâtre de l’Atelier, Place Charles Dullin, Paris 18e. Tél. 01 46 06 49 24. www.theatre-atelier.com Jusqu’au 5 mars.

(Photo Pierre Grosbois)