La dernière création de Samuel Achache associe des chants anglais du XVIIe siècle, superbement interprétés par l’Ensemble Correspondances, à la dérive d’une cérémonie de mariage. Loufoque, poétique, et un charme singulier
Imaginez une mariée le matin de la cérémonie. Tout est prêt, le futur époux est là, les invités attendent, et elle, elle est prise de doutes, une mélancolie l’assaille, une dépression sournoise, une soudaine envie de fuir. Sa sœur Viviane a beau la soutenir, Sylvia ne parvient pas à surmonter ses doutes, se défait de sa robe et, telle Alice se glissant dans un trou, disparait sous l‘immense drap blanc recouvrant la scène. « Bienvenue aux enfers, bienvenue dans l’esprit de ma sœur », annonce Viviane. Traversée des apparences, nous voici alors dans une sorte de salon de musique pétrifié, grenier à souvenirs, refuge bric-à-brac englué dans une matière blanche, comme l’espace mental de Sylvia. Des musiciens sont là et, en la personne de la mère, la chanteuse Lucile Richardot, superbe et imposante alto qui interprètera des airs de John Coperario, Robert Johnson, Matthew Locke, Johan Banister, William Lawes, Martin Peerson, William Webb, Nicholas Lanier, John Blow, Robert Ramsey, Henry Purcell, le plus connu de ces compositeurs anglais du XVIIe siècle. Comme autant d’illustrations de la mélancolie et de baumes sur les peines d’amour.
La force des souvenirs
Après Le crocodile trompeur/Didon et Enée et Orfeo, je suis mort en Arcadie, co-mis en scène avec Jeanne Candel, Samuel Achache poursuit son travail entre musique et théâtre. Ce nouveau spectacle s’inscrit dans cette ligne, joue sur les mélanges de style, un côté foutraque très maitrisé doublé d’une intense poésie. La scénographie de Lisa Navarro joue avec les transparences et les opacités, recouvre parois, meubles, étagères et objets d’une cire qui les fige, à l’instar des souvenirs empilés comme des sédiments dans la tête de Sylvia. Cette évanescence de l’instant théâtral s’appuie sur une qualité musicale absolue, assurée par la direction de Sébastien Daucé, avec l’Ensemble Correspondances, qui sortent de l’oubli ce répertoire méconnu et font sensiblement résonner les instruments anciens (théorbe, luth, violes, virginal). Les deux comédiennes Sarah Le Picard et Margot Alexandre, fines, incongrues, impertinentes et drôles, conduisent ce troublant voyage vers la mort. Mariage réussi du répertoire baroque superbement interprété par Lucile Richardot et le baryton René Ramos-Premier, et de l’univers fantomatique créé par Achache. Un charme diffus et total.
Songs * * *
Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis, bd de la Chapelle, Paris 10e. Tél. 01 46 07 34 50. www.bouffesdunord.com Jusqu’au 20 janvier. Suite de la tournée : les 21 et 22 mars à la Scène nationale de Quimper, le 27 mars, à Tarbes.