Soeurs

Wajdi Mouawad s’inspire de l’histoire de sa famille pour parler de l’exil et de l’attachement à la langue. Reprise au Théâtre de la Colline.

Depuis ses débuts (Littoral, Incendies, Forêts,…), Wajdi Mouawad explore les thèmes de l’exil, des origines, et donc de la langue maternelle. Parallèlement à ses mises en scène de Sophocle, l’auteur, libano-québécois, a entamé avec Seuls, qu’il joue lui-même, un cycle « Domestique ». Sœurs en est le deuxième volet, qui mêle l‘autobiographie (l’interprète a beaucoup observé et écouté la sœur de l’auteur metteur en scène) et la fiction. Venue pour une conférence à Ottawa, Geneviève Bergeron, la cinquantaine, avocate spécialisée dans la médiation de conflits internationaux, est bloquée par la neige et doit passer la nuit dans un hôtel. Dans sa chambre « interactive », elle se heurte aux dysfonctionnements d’équipements sophistiqués. Ainsi le service du réveil téléphonique ne fonctionne pas en français. Soudain, cette impossibilité d’entendre sa langue maternelle fait resurgir des fragilités enfouies, des sentiments d’injustice et d’humiliation refoulés. Dans un accès de folie destructrice, elle met la chambre à sac avant de disparaitre sous le matelas. Une employée de la compagnie d’assurance vient faire le constat.

L’exil au coeur

La sororité au cœur de la pièce est au sens large : si Geneviève est en recherche d’une « sœur » perdue depuis l’enfance, elle trouvera en Nayla, l’experte, une sœur de cœur, solidaire, compréhensive, quasi en osmose. Grâce à la scénographie très habile, qui joue avec la transparence, les deux personnages se superposent. Le sentiment d’un double est renforcé puisque les deux personnages sont joués par la même actrice, la Québécoise Annick Bergeron, épatante de bout en bout, qui passe du rôle de Geneviève, franco-manitobaine à celui de Nayla, libanaise. En surimpression, les dessins d’Emmanuel Clolus, ludiques, décalés, donnent une légèreté au dispositif. Le texte, au lyrisme sentimental (la marque Mouawad) mais assaisonné d’humour, est dopé par l’engagement et l’étonnante énergie de son interprète.

(lejdd.fr 11 avril 2015)

Sœurs                  * *

Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris 20e. Tél. 01 44 62 52 52. www.colline.fr Jusqu’au 10 juillet.

(Photo Pascal Gély)