Berlin mon garçon

Au Théâtre de l’Odéon, Stanislay Nordey crée la pièce de Marie NDiaye, un texte fort et une fable troublante sur la disparition d’un fils

Il arrive que des pièces de commande soient d’heureuses surprises, il en est ainsi pour Berlin mon garçon, pièce commandée par Stanislas Nordey à Marie NDiaye. Le metteur en scène et directeur du Théâtre National de Strasbourg se posait la question du départ au djihad : comment une partie de notre jeunesse peut partir vers des destinations improbables ? Avec cette idée du terrorisme pour point de départ, l’auteure a imaginé le personnage d’un jeune homme ayant quitté ses parents pour partir vivre à Berlin. Pour échapper au cocon familial ? Faire la fête ? Au bout de quelques mois, sa mère décide d’aller à sa recherche. Elle arrive à l’aéroport de Berlin, rencontre celui qui l’héberge… Découpée en cinq séquences allers et retours entre Berlin et Chinon, la pièce donne la parole à ceux qui restent : Marina, sur la piste du fils disparu, Lenny, le père, libraire, resté en France avec sa mère, et au camp de ceux rencontrés à Berlin : Rüdiger, le logeur bienveillant, Charlotte, la petite amie du fils… Au milieu de la pièce, les interrogations se resserrent. Le garçon serait parti pour semer la terreur…

Un suspense psychologique

D’une langue acérée, Marie Ndiaye conduit un prenant suspense psychologique. «Que s’est-il passé à Chinon pour que ce garçon devienne fou à Berlin ? », jusqu’à s’inventer « une cause », questionne sa petite amie. Le garçon, dont l’ombre pèse sur le plateau, n’est jamais nommé, jamais entrevu, il reste comme irréel, fantomatique. Les personnages parlent en leur nom, ou en celui d’un autre, mais tout n’est pas formulé ici. L’écriture mêle et trouble les perceptions et le texte, imprégné de mystères opaques qui lui insufflent force et profondeur, n’en finit pas d’intriguer, d’interpeller. La mise en scène de Stanislas Nordey s’inscrit dans la scénographie réaliste et imposante d’Emmanuel Clolus alternant les images en noir et blanc de Berlin (l’aéroport, le Corbusierhaus), de la librairie à Chinon (enseigne, alignement de livres), la vidéo de Jérémie Bernaert (la rencontre avec la petite amie). Avec aussi, entre chaque séquence, un signe au conte de Pinocchio et des images du garçon transformé en âne. Quelle est la vérité des personnages, le secret de leurs liens ? La mise en espace laisse affleurer tous les possibles dans une interprétation rigoureuse et intense de Hélène Alexandridis, Claude Duparfait, Annie Mercier, Laurent Sauvage, Sophie Mihran et Dea Liane.  

Berlin mon garçon        * * *

Odéon-Théâtre de l’Europe, Place de l’Odéon, Paris 6e. Tél. 01 44 85 40 40. www.theatre-odeon.eu Jusqu’au 27 juin. Du 22 février au 6 mars 2022, Théâtre National de Strasbourg.

(Photo Jean-Louis Fernandez)