La Cerisaie

Clément Hervieu-Léger met en scène la pièce de Tchekhov à la Comédie-Française

C’est la pièce testament de Tchekhov. Celle des ruptures, des adieux. Rupture avec le passé, adieu à un ancien monde, avènement d’une société nouvelle : le servage, aboli en en 1861, a permis la vente des terres aux paysans. Malade, Tchekhov met un point final à La Cerisaie en 1903. Il mourra en 1904. A travers le destin d’une propriété appartenant à une famille d’aristocrates, l’auteur parle de l’avenir de la Russie. En quelques mois, la Cerisaie va changer de main. Du retour de Lioubov dans la maison, après un long séjour à l’étranger, au premier acte, à son départ définitif à la fin de la pièce, c’est le changement de société qui est au cœur de la pièce. Heureuse de revoir la maison de son enfance, mais qui est aussi celle où son petit garçon est mort noyé, Lioubov retrouve son frère, sa fille, sa fille adoptive, les domestiques… Mais la maison est promise à la vente, trop de dettes se sont accumulées que ni elle ni son frère n’ont voulu voir. Pour Lopakhine, un voisin marchand, la solution serait d’abattre les arbres et de construire des maisons à louer aux estivants. Mais il n’est pas entendu.  

Loic Corbery, étonnant et subtil Lopakhine

Non dénuée de sensibilité, la mise en scène élégante et précise de Hervieu-Léger donne à sentir le temps qui passe, une mélancolie latente, parfois un peu désincarnée. Dans la scénographie d’Aurélie Maestre – des cloisons en planches enfermant davantage qu’elles ne laissent imaginer la propriété-, l’évocation du domaine enchanté, bientôt paradis perdu, est réduit à une peinture accrochée sur un mur de la maison représentant des cerisiers en fleurs. L’espace s’ouvrira néanmoins le temps d’une scène de danse très bien menée où souffle l’esprit tchekhovien. Dans le rôle de Lioubov, Florence Viala montre la légèreté, l’enjouement du personnage, n’en laissant pas affleurer les failles. Très intéressant, le personnage de Lopakhine, lui, apparaît sous un jour nouveau avec l’interprétation de Loïc Corbery, que l’on ne s’attendait pas à voir dans le fils de moujik et qui étonne par la vision de son personnage et la profondeur subtile de son jeu. Il n’est pas ce nouveau riche fier de son ascension sociale et de sa revanche, cet homme d’avenir rêvant d’une nouvelle société, sa réussite ici est teintée d’un certain désenchantement, d’une incertitude face à l’avenir. En éternel étudiant, Jérémy Lopez est, encore une fois, au plus juste et au plus près du rôle.

La Cerisaie  * *

Comédie-Française, Salle Richelieu, Place Colette, Paris 1er. Tél. 01 44 58 15 15. www.comedie-francaise.fr En alternance jusqu’au 30 janvier 2022.

(photo Brigitte Enguérand)