La disparition du paysage

Aux Bouffes du Nord, Aurélien Bory met en scène le texte de Jean-Philippe Toussaint interprété par Denis Podalydès

Sur le plateau, seulement un fauteuil roulant. Denis Podalydès entre, prend place sur le fauteuil, tournant le dos à la salle. Face à lui, l’écran lumineux d’une fenêtre. L’homme dit être en convalescence à Ostende. Seul dans une chambre, il regarde le ciel par la fenêtre : « ma fenêtre est un tableau ». Ce tableau va l’absorber, au fil de la variation des nuages dans le ciel. Au loin, la mer, parfois la brume couvre la vue. Brouillard extérieur et brouillard de la mémoire aussi pour l’homme assis, qui ne sait plus pourquoi il se retrouve coincé dans ce fauteuil. Accident ? Attentat ? Des bribes de souvenirs affleurent, mais le doute est là, il ne sait plus, son intérieur se vide d’émotions. Solitude du regardant. Cette fenêtre sur l’extérieur active sa mémoire intérieure. Mais bientôt, un chantier se met en place pour la construction d’un immeuble et la vue va peu à peu se boucher. A la disparition du paysage va correspondre la disparition de l’homme, car l’homme va mourir, peut-être est-il déjà mort. Quelle image emportera-t-il ? 

Abstraction et réalisme

D’une métaphore à l’autre, l’auteur accompagne son personnage vers sa disparition. En confiant ce fascinant monologue à Denis Podalydès, déjà interprète de certains de ses textes, Jean-Philippe Toussaint ne pouvait toucher plus juste. La voix quasi blanche du comédien épouse la tonalité du texte, ses étrangetés, contraint toute émotion, tout sentiment. Totalement pénétré par le vide aperçu par la fenêtre, absorbé dans son écran mental, entre abstraction et réalisme, le comédien porte le monologue, inscrit dans le graphisme de la scénographie. Soulignée par les lumières d’Arno Veyrat, celle-ci joue sur une poétique de l’espace telle qu’Aurélien Bory la décline et la maitrise : variations de couleurs, déplacements d’angle de vision, brouillard, dissipation,… Le rectangle de la fenêtre s’élargit, se rétracte, à la manière d’un obturateur d’appareil photo. Jusqu’à cette disparition du paysage, de la pensée, et la traversée du miroir, jusqu’à son « dernier instant visible ». Infiniment subtil et envoûtant.

La disparition du paysage  * * *

Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis, bd de La Chapelle, Paris 10e. Tél. 01 46 07 34 50. www.bouffesdunord.com Jusqu’au 27 novembre. Tournée : 2 et 3 décembre, Châteauroux, 1er février 2022, Montbéliard, 10, Boulazac, 22, St-Etienne-du-Rouvray, 25, Angers, 11 mars, Boulazac, 15 au 18, Toulouse, 23 au 25, La Rochelle, 8 avril, Chelles, 19, Meaux, 11 et 12 mai, Bonlieu.

(Photo Aglaé Bory)