Le Moine noir

Le Théâtre de la Ville présente au Théâtre du Châtelet, la mise en scène de Kirill Serebrinnikov d’après la nouvelle de Tchekhov

Présentée en ouverture du dernier Festival d’Avignon, la mise en scène du Russe Serebrinnikov a créé l’événement. Au-delà de la personnalité de son metteur en scène russe, dissident exilé à Berlin, et du contexte de la guerre en Ukraine, le spectacle a impressionné par son envergure. Adapté d’une nouvelle peu connue en France de Tchekhov, elle-même née d’un rêve de l’auteur, Le Moine noir conte l’histoire d’Andreï Kovrine, intellectuel surmené emporté par ses désirs de liberté et de grandeur, qui part se reposer à la campagne chez son tuteur et ami Pessotski et sa fille Tania. Dans leur magnifique jardin, paradis écologique d’arbres fruitiers, lui apparaît le fantôme d’un moine qui reviendra hanter son séjour : « Etre libre, c’est être l’élu (…) La liberté n’est peut-être qu’une illusion, mais n’est-il pas préférable de vivre d’une grande illusion ? Pousser librement dans le vent, comme une haute tige, plutôt que de se multiplier comme des arbustes résistants au froid… » L’homme, troublé, en perd la raison.

Des scènes spectaculaires

Dans une vision dense et complexe de la nouvelle, Serebrennikov place le spectateur tour à tour à l’intérieur de chaque personnage afin d’alterner les regards. Ainsi, la même histoire se répète, vécue selon des points de vue et des perspectives différents, qui plus est jouée par plusieurs comédiens pour un même rôle. Au risque pour le public, à l’instar du personnage à la lucidité altérée, de se perdre en route dans un tel foisonnement. Mise en scène et scénographie de Serebrennikov rivalisent d’ampleur, réparties sur trois espaces ressemblant à des serres transparentes, évocation du jardin fastueux, qui vont évoluer et se transformer au fil des scènes, dont certaines, impressionnantes, atteignent une dimension cosmique. Production du Thalia Theater, basé à Hambourg, la distribution associe des techniciens et acteurs russes, allemands, lettons, des chanteurs et des danseurs d’origines diverses. Dans le rôle de Kovrine, Filipp Avdeev, Odin Biron et Micro Kreibich composent un triptyque saisissant. Musique (Jekabs Nimanis), chants et scènes de danse (dont l’envoûtant ballet de moines noirs tourbillonnant comme des derviches tourneurs) ajoutent à la folie théâtrale, dense et puissante, orchestrée de main de maître par Serebrennikov.

Le Moine noir         * *

Théâtre du Châtelet, 1 place du Châtelet, Paris 1er. Réservations 01 42 74 22 77.  www.theatredelaville-paris.com et www.chatelet.com Du 16 au 19 mars. Spectacle en allemand, anglais, russe, surtitré en français.

(Photo Krafft Angerer)