Kliniken

Au Théâtre de l’Odéon, Julie Duclos nimbe de tendresse la pièce de Lars Norén

C’est une pièce forte et bouleversante du dramaturge suédois Lars Noréen (1944-2021), créée en 2009 par Jean-Louis Martinelli  (co-traducteur avec Camilla Bouchet et Arnaud Roig-Mora). Julie Duclos la met en scène dans une représentation d’une profonde sensibilité qui en fait ressortir toute l’humanité. Dans la salle commune d’une unité psychiatrique, le quotidien se déroule, réduit aux fonctions élémentaires : manger, dormir, fumer, marcher, et essentiellement parler, toujours parler. Pour s’adresser à qui ? A soi, à l’autre. Pour dire quoi ? Son mal être, son vide existentiel, sa douleur. Il y a là Mohammed, Sofia, Martin, Maud, et les autres, et l’infirmier Tomas, qui se confondrait presque avec les patients. Sous la direction de Julie Duclos, cette parole agissante est portée par des comédiens d’une étonnante vérité, au plus près de leur personnage, dans un délicat travail d’adéquation à son mystère. Aucun ne joue la folie, mais une anormalité ordinaire, une légère «différence ». Norén pose la question : « Qui est-ce qui décide qui est malade ou qui est sain ? Qui le décide ? » La frontière est ténue qui fait passer d’un monde à l’autre.

La dimension du temps

Pourquoi Martin (David Gouhier) est-il dans cet endroit, au côté de Markus, schizophrène (Maxime Thebault, saisissant, poignant) ? De Sofia (Alexandra Gentil) à Erika (Manon Kneusé), à Roger (Etienne Toqué) et les autres, tous donnent à sentir leur souffrance et les malaises d’une société qui les exclut. Ils traversent la scène, croisent leurs solitudes, déchirants mais assez lucides pour se laisser aller à un brin d’humour (« quelle chance qu’on allait si mal sinon on n’aurait pas supporté »). Car Norén, qui a connu l’internement dans sa jeunesse, n’en rajoute pas dans le réalisme, il inscrit ses personnages dans la dimension du temps, les montre proches et à distance. La mise en scène, elle, fixe à l’occasion leur désarroi à l’aide de la vidéo. L’empathie passe la scène. Julie Duclos est fidèle au texte et à la musicalité de la pièce (1993) avec juste une conversion de quelques noms plus adaptés au public français. Dans l’espace conçu par le scénographe Matthieu Sampeur, entre réel et imaginaire, splendidement éclairé par les lumières de Dominique Bruguière, on sent l’écoulement du temps, le temps de la vie qui bat, son intensité de chaque instant. On est dans une autre dimension, enveloppante, troublante. C’est très fort.

Kliniken                    * * * *

Théâtre de l’Odéon, Place de l’Odéon, Paris 6e. Tél. 01 44 85 40 40. www.theatre-odeon.eu Jusqu’au 26 mai. Représentations surtitrées en anglais samedis 14 et 21 mai. Tournée 2023 : Les Gémeaux, Sceaux, 12 au 16 avril, Comédie de Reims, 11 au 13 mai.

(Photo Simon Gosselin)