Lilo Baur donne des couleurs à la comédie de Molière, emmenée par Laurent Stocker, formidable Harpagon.
« Revisiter » les classiques ne s’avère pas toujours pertinent et encore moins souvent gagné. Tel n’est pas le cas avec cette étonnante mise en scène de Lilo Baur qui avait déjà fait les beaux soirs de la Salle Richelieu en 2019 avec La Puce à l’oreille, de Feydeau. Au tour de Molière de prendre un drôle de coup de jeune, pour le meilleur. Aucun hiatus ici entre la langue, précise, enlevée, de celui dont on commémore le 400ème anniversaire de la naissance, et sa transposition dans les couleurs des années 50 qui siéent à la metteure en scène suisse. Souvent représentée dans une vision noire, la comédie de Molière retrouve ici sa légèreté et son pouvoir hautement comique, la satire en étant toujours aussi acérée. Le texte est perçu dans toute sa pertinence, sa clarté et une modernité limpide. Nous voici donc dans une propriété cossue au bord d’un lac (scénographie de Bruno de Lavenère, lumières de Nathalie Perrier) : on apercevra même, derrière les chics claustras de bois, l’Eiger ! Baignades, parties de golf rythment la vie dans la maison d’Harpagon, père autoritaire uniquement obsédé par la préservation de sa fortune : dix mille écus en or enterrés dans le jardin (« 350 000 euros », nous indique-t-il mezzo voce). Veuf, il songe au mariage : le sien, mais aussi celui de ses enfants, Cléante et Elise, comme autant d’opérations économiques. Car l’homme ne sait qu’une chose : compter.
Merveilleux Harpagon de Laurent Stocker
Enfin un rôle titre pour Laurent Stocker, comédien subtil et interprète précieux. A la base de sa composition du personnage d’Harpagon, il y a une formidable transformation physique : veston bleu, pantalon blanc, chevelure blonde hirsute, le comédien est d’une drôlerie fine et cocasse, dans un jeu à la fois burlesque et très tenu. Son interprétation ne verse jamais dans l’exagération ou la facilité : gimmicks légers (le bégaiement sur « donner »), colères froides et maitrisées aux antipodes de l’exaspération façon de Funès, mystère et opacité quant à la névrose de l’avarice. Par sa démarche, ses attitudes, il crée un authentique personnage comique, qui déclenche le rejet mais aussi l’indulgence. L’homme est méchant, certes, mais plus drôle que odieux dans sa folie. Le rythme du jeu installe une mécanique du rire et les scènes de duos sont impeccables. La pièce apparaît comme neuve, même dans ses grands moments (le quiproquo sur la cassette, le vol sur fond de fête foraine, avec un Harpagon désemparé). Toute la troupe est au diapason dans ce Molière relooké : Jérôme Pouly, formidable La Flèche, Serge Bagdassarian, Françoise Gillard, Nicolas Lormeau, Anna Cervinka, Clément Bresson, Jean Chevalier, Elise Lhomeau. Tous participent à cette redécouverte.
. Le 12 avril, le spectacle sera diffusé en direct depuis la Salle Richelieu dans plus de 200 salles de cinéma Pathé.
L’Avare * * * *
Comédie-Française, Place Colette, Paris 1er. Tél. 01 44 58 15 15.www.comedie-francaise.fr Jusqu’au 24 juillet.
(Photo Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française)