Au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Lisa Guez fête le 400ème anniversaire de la disparition de Molière avec une réjouissante leçon de théâtre
Trois Alceste sinon rien… C’est la proposition imaginée par Lisa Guez, d’une belle et singulière originalité. Et pourtant aucun des trois de ces plus éminents comédiens prétendants au rôle _Michel Vuillermoz, Didier Sandre et Gilles David_ ne le sera… A partir des leçons données au Conservatoire d’art dramatique par Louis Jouvet dans les années 50, la jeune metteure en scène a demandé à trois des plus grands sociétaires de la Comédie-Française de redevenir des apprentis comédiens, pour le plaisir du jeu bien sûr. Plus ludique que le mythique Elvire Jouvet 40 de Brigitte Jaques-Wajeman avec Philippe Clévenot et Maria de Medeiros (filmé par Benoit Jacquot) qui l’avait bouleversée, son court spectacle est un précipité de cours d’interprétation. A Didier Sandre et Gilles David revient d’ouvrir la séance : élèves maladroits, ils préparent le plateau en attendant l’arrivée du maître. Discret, Michel Vuillermoz (Jouvet) entre, salue le public comme s’agissant d’un cours d’étudiants, s’adresse à quelques-uns, donne des avis, fait des remarques. Sur la scène, les débutants timides se lancent dans une interprétation surjouée et lourde d’intentions de la première scène du Misanthrope : « Qu’est-ce donc ? Qu’avez-vous ? » « Laissez-moi, je vous prie. »
Une rigoureuse leçon de théâtre
Le maître Jouvet intervient : pas besoin de mise en scène. Seule importe « la nécessité de dire ». Les faux apprentis comédiens recommencent, rejouent, changent d’orientation, et encore. Il est savoureux de voir ces immenses interprètes se mettre dans la peau de débutants (on note, au passage, la vis comica de Didier Sandre). Jouvet insiste : il faut « chercher la mécanique de la diction ». Et de monter sur scène, de dire à son tour la scène d’Alceste, Didier Sandre étant Philinte et Gilles David devenant Jouvet. Magnifique aisance de chacun à changer de rôle, de trouver sa place immédiatement. Chez Molière comme chez eux, les trois interprètes se passent le relais, de Philinte à Alceste, d’Alceste à Jouvet, changent encore la distribution, dans des échanges de plus en plus fluides. Et c’est un tourbillon. Le cours de théâtre est de haute volée, le style n’a pas une ride, l’exigence avant tout, le respect du texte relevant d’une règle quasi mystique. Pour autant, le spectacle de Lisa Guez, s’il fait résonner haut et clair la parole profonde de Jouvet, son enseignement impérieux, déjoue le sérieux par son rythme, ses moments de drôlerie, son humour, chaque interprète imprimant son style et sa personnalité à chacun des rôles. Pendant quelques soirs, ils auront été Alceste. Et nous nous en souviendrons.
On ne sera jamais Alceste * * *
Studio-Théâtre, Galerie du Carrousel du Louvre, 99 rue de Rivoli, Paris 1er. Tél. 01 44 58 15 15. www.comedie-francaise.fr Jusqu’au 8 mai.
(Photo Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie Française)