Tout mon amour

Arnaud Meunier met en scène la première pièce de Laurent Mauvignier avec Philippe Torreton et Anne Brochet, exceptionnels

Une maison. L’homme qui l’habitait est mort, on vient de l’enterrer. Son fils est là, avec sa femme qui n’a qu’une hâte : s’en aller, quitter cet endroit lourd de souvenirs. Seulement voilà, au cimetière, une jeune fille s’est montrée entre les tombes et cette apparition bouleverse l’homme. Alors qu’il range des papiers, son père lui apparaît, lui parle de l’adolescente, lui suggère de la rencontrer. Ici même, dix ans auparavant, la petite fille du couple a disparu, et n’a jamais été retrouvée… Arnaud Meunier, qui met en scène cette première pièce de Laurent Mauvignier (Dans la foule, Des hommes, Ce que j’appelle oubli,…) évoque un « polar métaphysique » mais la formule est réductrice, la pièce ouvrant sur des gouffres insondables. Par la force de l’écriture, un climat est créé qui conduit un suspense prenant. Une angoisse s’installe, un mystère pointe qui rouvre chez le couple une cicatrice toujours à vif. L’homme veut creuser la vérité, remonter dans le passé, explorer les souvenirs, sa femme ne veut rien affronter, surtout pas l’inconnu, ne pas réveiller la souffrance. Refermer à jamais le tombeau. Et c’est terrible.

Un monde de secrets

Texte elliptique, mise en scène rigoureuse et interprétation magistrale, tout concourt à donner une densité exceptionnelle à cette proposition, dans la scénographie entre réalisme et abstraction de Pierre Nouvel, qui fait passer d’un monde à l’autre, d’aujourd’hui à hier, des vivants aux disparus. Où se situe la mort ? L’écriture sèche, au scalpel, dissèque les relations entre les personnages, creuse les zones de silence et laisse affleurer un monde de secrets insondables. A-t-on besoin de souvenirs pour vivre ? Pour la mère, que joue Anne Brochet avec une fragilité d’écorchée et une force souterraine, la réponse est non. Et de laisser transparaitre, à force de déni, la monstrueuse puissance destructrice d’une héroïne antique (glaçante dernière image). Dans le rôle du père, Philippe Torreton, imposant interprète, est tout à la fois rationnel, terrien, n’ayant pas peur d’affronter les fantômes comme la vérité. Avec Romain Fauroux, Ambre Febvre et Jean-François Lapalus, ils font entendre les profondes richesses d’un texte intense.

Tout mon amour       * * *

Théâtre du Rond-Point, 2 bis, av. Franklin D. Roosevelt, Paris 8e. Tél. 01 44 95 98 21. www.theatredurondpoint.fr Jusqu’au 4 juin. Du 9 au 10 juin, L’Estive, Foix (09).

(Photo Pascale Cholette)