Sous la direction de Robert Wilson, Isabelle Huppert incarne la reine Mary Stuart à la veille de son exécution. Reprise.
En 1971, Bob Wilson créait l’événement dans cette même salle avec Le Regard du sourd. Et c’est là, à l’Espace Cardin, où le Théâtre de la Ville est hébergé en attendant l’achèvement des travaux de sa salle de la place du Châtelet, que le metteur en scène américain crée Mary said what she said, un texte de Darryl Pinckney, avec Isabelle Huppert, déjà dirigée dans Orlando et Quartett. A chaque fois, la rencontre tient ses promesses. Architecte de l’espace, Wilson s’empare de l’élément lumière comme aucun autre metteur en scène, et en fait un matériau scénique déterminant, ici comme le fond d’un tableau où se distingue Mary Stuart. Née en France en 1542, couronnée reine d’Ecosse à la mort de son père alors qu’elle n’a que six jours, Mary épouse le futur roi François II à l’âge de 16 ans. Quand il meurt, en 1560, elle retourne en Ecosse. Deux mariages et quelques complots plus tard, elle se retrouve en Angleterre où sa cousine la reine Elizabeth Ière la fera emprisonner pendant dix-huit ans, avant de la condamner à mort. Le texte de Darryl Pinckney cueille Mary Stuart à la veille de son exécution, en 1587. Enfermée dans un château, elle revisite ses souvenirs, les grands moments de sa vie, les lieux, les hommes qu’elle a connus, aimés, et ce fils qu’elle n’aura pas vu marcher.
Une performance unique
La scène est soulignée par deux néons encadrant un espace transcendé de lumière. Hiératique, comme un pantin enserré dans sa robe couleur de terre, le cou emprisonné dans une collerette, la comédienne compose une reine murée qui voit défiler les images de sa vie. Elle est cette reine enfant, cette femme amoureuse, cette mère. Tout d’abord en contre-jour, ombre chinoise tournant le dos à la scène, puis en pleine lumière, comme une peinture, de face, de profil, avançant comme une automate ou se lançant dans une subjugante traversée de la scène en diagonale, son jeu mécanique se transforme en une singulière chorégraphie qui compose avec la musique de Ludivido Einaudi, répétitive, entêtante. Sa voix est monocorde, sonorisée, à quelques moments enregistrée, spatialisée, les mots sont hachés dans une cadence tenue. Les rais de lumière éblouissants, géométriques, laissent place au brouillard écossais puis retrouvent une lueur aveuglante. Musique, stridence des sons, altération de la voix, variations de lumière, tout est parfaitement réglé, ciselé dans une aspiration à la pureté. Si le monologue surprend par son abstraction, un style sophistiqué qui le rend parfois –souvent- hermétique, abscons, il interpelle et retient par sa sonorité, sa poésie. La comédienne le déroule comme si elle sculptait une matière vivante, et alors qu’une telle contention pourrait laisser le spectateur à distance, elle laisse transparaître entre les mots, la douleur de Mary. Des images d’une grande beauté rappellent dans les gestes, le théâtre japonais, et la danse finale, tête déjà branlante sur le cou, annonce la mort prochaine dans la lumière spectrale. Grande comédienne.
(chronique publiée le 11 juin 2019)
Mary said what she said * * *
Théâtre de la Ville – Espace Cardin, 1 avenue Gabriel, Paris 8e. Tél. 01 42 74 22 77. www.theatredelaville-paris.com Du 13 au 29 avril et du 2 au 14 mai.
(Photo Lucie Jansch)