Sylvie Blotnikas et Julien Rochefort présentent un spectacle autour des récits de Kafka
On le sait, Franz Kafka, qui avait fait des études de droit, était employé dans une compagnie d’assurances, à Prague, où il était chargé de l’indemnisation des accidents du travail. Il a occupé cet emploi toute sa vie, si l’on excepte ses absences pour cause de maladie et ses séjours au sanatorium. Il consacrait le reste de son temps à son activité d’écrivain, mais il devait travailler car « il faut bien gagner sa tombe ». Pour donner à voir ces deux aspects de la vie de Kafka, les metteurs en scène à l’origine du projet, Sylvie Blotnikas et Julien Rochefort, ont entrecroisé douze récits écrits par Kafka (adaptés pour la première fois au théâtre par Sylvie Blotnikas) et des lettres adressées à son employeur. Sur la scène, un petit bureau, une chaise et un classeur en bois suffisent à situer l’époque. Le directeur de la compagnie d’assurances écoute sa secrétaire lui lire une lettre de demande d’augmentation que lui a adressée Kafka. « Répondez positivement » , lui intime-t-il. Il en sera de même à chaque demande. Entrecoupées des récits, les scènes de bureau sont le fil conducteur du spectacle. Toujours lues par sa secrétaire, le directeur prend connaissance des lettres dans lesquelles Kafka sollicite une augmentation, une promotion, des congés,… jusqu’à cette lettre de juin 1922 où il demande une retraite anticipée. Il n’a plus que deux ans à vivre. A sa mort, en 1924, Milena parlera de lui comme d’«un être insolite et profond».
Délicatesse et rigueur
Classicisme du style, écriture précise, imagination, chimères, on retrouve dans la variété des récits, habités d’inquiétude et d’angoisses, mais aussi d’un humour caustique, les obsessions de l’écrivain : un homme accablé sous la pluie ; un autre pris dans un buisson d’épines -« vieil obstacle sur ton chemin, si tu veux avancer, il doit prendre feu »- ; ou bien à la recherche d’un défenseur dans les couloirs d’un tribunal, mais est-ce un tribunal ? ; au pied d’un escalier dont les marches ne finissent pas ; ou encore cet homme face à une jeune fille, mais des lances à l’intérieur de son corps l’empêchent d’aller vers elle (« il ne m’est possible d’aimer que si je place l’objet au-dessus de moi si haut qu’il devient inaccessible »). Cette confrontation entre la vie réelle de l’écrivain et son imaginaire imprime une dynamique au texte et jette une lumière autre sur sa personnalité et son œuvre. Comme à chacun des spectacles signés du duo Sylvie Blotnikas et Julien Rochefort, celui-ci associe délicatesse et rigueur, subtilité et profondeur. Justesse du ton, clarté de la diction, ils cernent la personnalité attachante de l’auteur, font pénétrer son univers. Un hommage très prenant.
Les récits de Monsieur Kafka * * *
Le Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris 6e. Tél. 01 4222 66 87. www.lucernaire.fr Jusqu’au 1er mars.
(Photo Fabienne Rappeneau)