Au Théâtre de la Bastille, David Geselson met en scène la figure de Nina Simone sur fond d’histoire coloniale
L’artiste inspire les auteurs dramatiques : Nina Simone. Après Gilles Leroy, David Lescot, et d’autres, David Geselson interroge la musicienne et la femme, noire américaine, et choisit de raconter son histoire. Comme il avait raconté la sienne avec En route-Kaddish, celle d’André Gorz avec Doreen. Pour en savoir davantage sur Nina, il a traversé l’Atlantique et composé une équipe afro-américaine et française, avec laquelle il a partagé ses recherches. Arrière arrière-petite-fille d’une Amérindienne mariée à un esclave noir africain, Nina Simone porte quatre siècles d’histoire coloniale. Ils constituent le socle du texte de Geselson, sur lequel repose l’histoire de Nina. En prologue, le rappel de la découverte des Amériques, la conquête du Nouveau continent par les colons européens au XVe siècle et l’histoire des Afro-Américains. Le poids de ses ancêtres, cherokee et esclave africain, entrave sa liberté. Le destin de Nina est lié à cet héritage, «cicatrice qui ne guérit pas ». Nina se trouve là, « entre ces deux mondes, noirs et blancs».
Un décor mouvant
La scénographie de Lisa Navarro, et les lumières de Jérémie Papin, glissent d’un espace à l’autre, d’un bar à un salon, d’une maison à une loge, au gré des années, les plus jeunes quand la petite Eunice Waymon prend des cours de piano et joue à l’église, aux dernières, lorsque la star mondiale Nina Simone, entre deux tournées, achète une maison dans le sud de la France. Le décor mouvant devient le support d’images d’archives : manifestations, émeutes, Malcolm X, Martin Luther King… Mélange des langues (anglais, français, ou ngambay), entrecroisement des temporalités comme de la réalité et de la fiction, Geselson manie tout cela avec aisance et habileté. Sa mise en scène fluide serre au plus près et allège le récit dense et touffu de la vie de la chanteuse. Hormis des échos d’une symphonie de Mahler en prologue, quelques notes de Bach ou paroles d’une chanson, la musique est peu présente, seule importe ici l’évocation de la fragmentation d’une identité, et ses conséquences. Une démonstration de « ce que la peur peut faire taire ». La distribution afro-américaine et française réunie est très cohérente et convaincante, chacun parfaitement dans son rôle autour de la figure libre de Nina, incarnée avec force et sensibilité par Dee Beasnael.
Le silence et la peur * *
Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris 11e. Tél. 01 43 57 42 14. www.theatre-bastille.com Jusqu’au 27 mars.
(Photo Simon Gosselin)