Patrick Pineau emballe la pièce de Nicolaï Erdman dans un rythme échevelé. Une réussite totale
Créée il y a cent ans à Moscou par Meyerhold, la pièce de Nicolaï Erdman (1900-1970) ne sera plus jouée avec l’avancée du stalinisme. Quant à la seconde pièce de l’auteur, Le Suicidé, elle ne sera jamais jouée de son vivant et Erdman sera condamné à l’exil. A son retour à Moscou, en 1949, il n’écrira plus pour le théâtre. Après Le Suicidé, qu’il a mise en scène en 2011, Patrick Pineau retrouve l’auteur russe et sa mécanique comique terriblement efficace. Dans un décor où chaque espace est mesuré, appartement communautaire oblige, s’agite une famille, les Goulatchkine, jouant sa survie sociale. La mère, affolée, craint les dénonciations, et envisage de marier sa fille avec le fils d’un conservateur qui réclame, en dot, un élément communiste dans la famille ! Comment le frère de la jeune fille va-t-il pouvoir obtenir un « mandat » prouvant son appartenance au Parti ? Tel est l’enjeu de la comédie qui multiplie les ressorts. Ajoutez à cela un voisin locataire furieux d’avoir reçu sur la tête une casserole remplie de vermicelle au lait et demandant réparation, puis l’apparition d’une malle contenant une robe de l’impératrice, autrement dit « toute la Russie », et vous avez les ingrédients d’un vaudeville à la mode russe, ou plutôt soviétique.
Une troupe à l’unisson
La mise en scène emballe furieusement cette comédie de personnages déboussolés, en perte de repère entre deux systèmes politiques. Chez Nicolaï Erdman, la subversion puise sa force dans la satire et le comique cynique, amer, dans un enchaînement de rebondissements et de scènes cocasses et irrésistibles. La traduction de André Markowicz souligne l’humour et l’absurde des répliques. Car il faut bien rire pour ne pas pleurer devant cette humanité bête et désespérante. Chaque moment est parfaitement réglé et le rythme ne connaît aucun temps mort, servi par une interprétation au cordeau. Dans un remarquable travail de troupe, ils sont treize pour incarner les différents personnages et emballer la mécanique du rire. Tous épatants, des plus connus, comme l’énergique Sylvie Orcier, aux plus nouveaux, comme Lauren Pineau-Orcier ou Ahmed Hammadi-Chassin, mais tout le travail d’ensemble est à saluer. Du beau théâtre populaire.
Le mandat * * *
Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, route du Champ-de-Manœuvre, Paris 12e. Tél. 01 43 28 36 36. www.la-tempete.fr Jusqu’au 5 mai.
(photo Simon Gosselin)