A La Villette, une mise en scène spectaculaire de Thomas Jolly de la pièce d’Evgueni Schwartz
Il était une fois un dragon tricéphale qui régnait sur un village depuis quatre siècles… Chaque année, les habitants, obligés de lui fournir chaque jour légumes et têtes de bétail, doivent lui livrer une jeune fille. Au tour de la jeune Elsa, fille de l’archiviste Charlemagne, quand arrive, un jour de brume et de tempête, le chevalier Lancelot, « héros professionnel ». Le jeune homme, introduit dans la maison où vit Elsa avec son père et le chat Marinette, décide de débarrasser la ville du terrible dragon et de l’affronter, au grand dam de tous, résignés et soumis, voire complices du monstre. La pièce d’Evgueni Schwartz (1896-1958) commence comme un conte, non pas pour enfants comme il aimait à en écrire, mais «pour dire de toutes ses forces ce que l’on pense », l’auteur utilisant l’image mythique pour dénoncer le totalitarisme. Ecrite en 1943, la pièce sera d’ailleurs interdite par le régime à sa création l’année suivante. Mais un monstre peut en cacher un autre, et le conte cruel désigne un ennemi plus redoutable encore car plus sournois : la servitude volontaire, si finement analysée par La Boétie dans son célèbre Discours publié en 1576.
Le recours au fantastique
C’est la traduction de Benno Besson que Thomas Jolly a choisie pour sa mise en scène, sa première en tant que directeur du Quai d’Angers. Où l’on retrouve son sens du plateau et son goût du spectaculaire. Le texte s’y prête : « A cinq années de marche d’ici, dans les montagnes noires, il y a une grande caverne, et dans cette caverne il y a un grand livre (.…) Les lacs et les rivières sont témoins de ce que font les humains. Le grand livre se remplit, s’il n’existait pas, les arbres se dessécheraient d’horreur. A qui s’adresse ce livre ? » A nous. La scénographie (Bruno de Lavenère) joue de tous les artifices visuels (lumières, éclairs, effets laser, clair obscur en profondeur) et sonores (musique tonitruante, coups de tonnerre), dans un décor flirtant avec l’esthétique gothique tendance Tim Burton, relayée par le jeu expressionniste des comédiens (quatorze au total), aux maquillages inspirés de ceux de la Famille Adams. Tapis volant, objets animés, boules de feu…, le trop plein visuel n’est pas loin, au détriment de la pertinence du propos et de la virulence du texte. Mais, comme le dit l’un des personnages : « le spectacle doit être drôle, accessible, populaire, en un mot démocratique », assurément, il l’est. Mais n’oublions pas la leçon.
Le Dragon * * *
Grande Halle de La Villette, 211 av. Jean-Jaurès, Paris 19e. Tél. 01 40 03 75 75. www.lavillette.com Jusqu’au 17 avril. Théâtre du Nord, Lille, du 27 au 30 avril.
(Photo Nicolas Joubart)