La dernière création de Christophe Honoré est actuellement à l’affiche du Théâtre de l’Odéon
Dans Les idoles (Prix du Syndicat de la critique 2019), Christophe Honoré faisait revivre les artistes admirés dans sa jeunesse, et la rencontre était magnifique. Avec cette dernière création, il poursuit le dialogue avec son passé, familial cette fois. Une parentèle disparate et un peu déglinguée, avec son lot de tragédies : accidents, morts, suicides, dépression,… Sur la scène, une salle de cinéma abandonnée où quelques sièges sont occupés, dans l’attente d’une projection. Des notes de musique se font entendre : Nantes, de Barbara. Le théâtre de Christophe Honoré va se dérouler dans ce lieu où l’auteur a convoqué des membres de sa famille pour réaliser un film, des ombres essentiellement puisque la plupart sont morts. « J’ai voulu vous revoir », leur dit-il. Trois générations se retrouvent, difficile au début de bien situer chacun, la grand-mère ayant eu de nombreux enfants avec son second mari, mais l’atmosphère est là, celle de l’époque, et aussi les petites jalousies, les rancœurs et la force du lien. Dans ce purgatoire, les règlements de comptes peuvent éclater, les révélations advenir, et les confessions. Comment composer avec l’héritage des origines ? Honoré brasse tout cela, avec sa sensibilité, sa manière bien à lui, et s’il y a quelques facilités ou évidences, elles sont balayées par un sentiment souterrain fort : la tendresse.
Miroir de la salle de théâtre et de la salle de cinéma
Réalisme et onirisme se côtoient dans cette création originale où théâtre et cinéma sont alliés dans une quête du passé, quand Honoré voit ses souvenirs se confronter à ceux de sa mère, de ses oncles, de sa tante, et quand les secrets tiennent leur place. De ce film impossible à réaliser, Honoré a composé une œuvre intime et prenante qui maitrise le plus souvent le nombrilisme et où alternent les scènes fortes (les remords des pères), émouvantes (les danses) ou cocasses (Christophe en costume de torero), les moments mélancoliques et enlevés avec les refrains de chansons populaires (Joe Dassin, Sheila, Julio Iglesias,…). Si sur l’écran, Honoré projette des bouts d’essais avec des comédiens, on ne pourrait imaginer une famille aux personnalités plus riches que celle rassemblée dans cette salle de cinéma imaginaire. Dans la douceur chaleureuse des lumières de Dominique Bruguière, l’interprétation chorale vibre des émotions de chacun. Youssouf Abi-Ayad se coule dans le rôle de l’auteur, tantôt écorché, tantôt vindicatif, Harrison Arévalo est l’époux espagnol violent et volage, Jean-Charles Clichet le fils préféré, Jacquot (quand l’on entend appeler « Jacquot !», impossible de ne pas penser à un autre Jacquot de Nantes, Jacques Demy). Julien Honoré, lui, incarne la mère, Chiara Mastroianni, dont c’est la première apparition sur une scène, est la fragile Claudie, Stéphane Roger est l’autre fils, hanté par la guerre d’Algérie et la toujours étonnante Marlène Saldana, l’impétueuse grand-mère. Ils forment une troupe forte et soudée comme une famille où chacun laisse transparaitre sa personnalité, sa subtilité et son intimité.
Le Ciel de Nantes * * *
Odéon-Théâtre de l’Europe, Place de l’Odéon, Paris 6e. Tél. 01 44 85 40 40. www.theatre-odeon.eu Jusqu’au 3 avril.
(Photo Jean-Louis Fernandez)