La source des saints

Traduite par Noëlle Renaude, la pièce de Synge est illuminée par la mise en scène de Michel Cerda. Coup de cœur.

La scène et la salle restent plongées dans le noir un moment, le temps de se familiariser avec les sons, avant que surgissent comme du néant, Martin Doul et Mary Doul, tous deux aveugles, pauvres hères cramponnés l’un à l‘autre et vivant de mendicité dans la campagne irlandaise. Au croisement de la route, passe Timmy, le forgeron (Christophe Vandevelde), qui annonce une merveille : l’eau d’une source sacrée peut les guérir de leur cécité. Une fois la vue recouvrée, Martin, à qui l’on avait vanté la beauté de Mary, ne la reconnaît pas, la prend pour l’accorte Molly (Chloé Chevalier). Le monde imaginé était donc plus beau que la réalité… Parabole forte et poétique sur l’aveuglement («la vue, ça te retourne un homme ») et la fausseté des apparences, la pièce de Synge (1871-1909), dont on connaît surtout en France Le baladin du monde occidental, est portée par la force de ses personnages archaïques, la beauté de la langue, étrange, magnifique, à couper le souffle. La traduction de Noëlle Renaude en restitue la singularité, les soubresauts, les chaos (1).

Deux interprètes impressionnants

La mise en scène de Michel Cerda (créée au Studio-Théâtre de Vitry) ne recourt à aucun décor ou presque, si ce n’est un sol métallique brun puis mordoré, plus tard un rideau de plastique rouge évoquant une forge, et à de menus accessoires (scénographie d’Olivier Brichet, lumières de Marie-Christine Soma). Tout entière vouée au lyrisme du texte, elle offre en prime deux intermèdes à la grâce légère : la manipulation, par Arthur Verret (qui incarne un saint mystérieux et séduisant), de minuscules objets rythmant le passage des saisons. La force de suggestion est puissante, totale, entre les mains d’interprètes virtuoses à la densité impressionnante : Anne Alvaro et Yann Boudaud qui font leur la musique, drue, charnelle de Synge et rendent visible l’invisible. Elle fait entendre « les trilles d’un de ces oiseaux paille qui nous arrivent au printemps de par là-loin de la mer, ça va en faire une belle chaleur là au soleil, puis une douceur dans l’air, ça sera épatant tiens d’être accroupi ici tranquille à l’aise, à sentir les choses qui poussent, puis éclosent de la terre. » Lui fait sentir « les douces toutes belles senteurs qui montent dans les nuits chaudes », écouter « la course folle de tout ce qui vole dans l’air, au point qu’on y voit là-haut dans nos têtes un ciel épatant, puis des lacs on voit, puis des rivières qui s’élargissent… » Splendides et bouleversants clochards célestes d’avant Beckett.

(1) Editions Théâtrales, texte français de Noëlle Renaude. 10 euros. www.editionstheatrales.fr

La source des saints                            * * * *

T2 G Théâtre de Gennevilliers, 41 avenue des Grésillons, 92 230 Gennevilliers. Tél. 01 41 32 26 26. www.theatre2gennevilliers.com Du 10 au 14 janvier.

(publié sur lejdd.fr 27 janvier 2017)