Grand-peur et misère du IIIe Reich

Grand-peur et misère du IIIe Reich

A l’Odéon, Julie Duclos fait résonner la dimension politique de la pièce de Bertolt Brecht

Une grande table élégamment dressée sur le plateau attend les protagonistes de la première scène. Le repas est terminé, après le départ des convives, les serveuses débarrassent tandis qu’un milicien ami d’une employée entre, et avec lui la méfiance. On est en 1932. Comme dans chacun des tableaux composant la pièce de Bertolt Brecht qui se déroule des années 1932 à 1938, qu’ils se situent à Breslau, à Berlin, Lübeck, Karlsruhe ou Cologne, dans une maison isolée, le bureau d’un tribunal, un hôpital, ou encore une ferme, la peur est sourde, le danger latent suinte, la suspicion s’installe. L’Histoire de l’Allemagne est en train de s’écrire, et les intitulés des tableaux en disent long : La croix blanche, Trouver le droit, La femme juive, Le Mouchard, Celui qu’on a relâché, Le combattant de la première heure, Le mot d’ordre,… Brecht parlait de sa pièce, écrite à partir d’articles ou de témoignages de ces années-là alors qu’il était en exil, comme d’un « avertissement » pour les générations futures. Et Julie Duclos prend ce relais.

Une interprétation sensible

De cette oeuvre peu souvent montée, la metteure en scène a retenu treize des vingt-quatre tableaux la composant et relève cet enjeu en situant le décor et les personnages dans une atmosphère intemporelle. Les comédiens dirigés avec sensibilité et acuité font implicitement sentir, qu’ils jouent un personnage devenu dangereux ou une victime potentielle, la menace invisible ou la paranoïa et sa contagion. Ainsi le fascisme s’insinue-t-il dans nos vies sans que nous le percevions frontalement. Insidieusement, il s’infiltre dans les rapports humains, corrompt jusqu’à l’intimité. Et Julie Duclos nous tend un miroir : attention, gare au fascisme rampant. La scénographie mobile de Matthieu Sampeur passe d’un lieu à l’autre, indiqué sur le fond de scène, dans une fluidité habile. Le son de Samuel Chabert imprime son tempo, les lumières de Dominique Bruguière accompagnent les changements de tableaux, les transitions dans un glissement qui participe à la mise en garde. Un travail accompli où l’on retrouve les qualités sûres de Julie Duclos, son sens et sa maitrise de la scène.

Grand-peur et misère du IIIe Reich       * * *

Odéon Théâtre de l’Europe, Place de l’Odéon, Paris 6e. Tél. 01 44 85 40 40. www.theatre-odeon.eu Jusqu’au 7 février. Tournée : TNP, Villeurbanne, 13-22 février, Théâtre du Nord, Lille, 27 février-2 mars.

(photo Simon Gosselin)