En attendant Godot

A la Scala-Paris, André Françon met en scène la pièce emblématique de Beckett. Avec deux grands interprètes

C’est la pièce d’une époque. Celle de l’après-guerre. Ecrite par un auteur irlandais, Samuel Beckett, installé en France, qu’il avait rejointe pendant la guerre, et où il avait intégré la Résistance, jusqu’en 1942, date à laquelle il dût se réfugier dans le Vaucluse. Ecrite fin 1948, publiée en 1952, En attendant Godot fait scandale à sa création par Roger Blin en 1953. Grand texte sur l’attente, et le temps, pièce éternelle sur les mystères de l’existence, l’âme et le cœur humains, elle fait désormais partie des grands classiques du théâtre. Beckett, qui confessait ne pas savoir lui-même qui est Godot, ni s’il existe, a-t-il dû s’amuser à affubler ses personnages Vladimir et Estragon des sobriquets Didi et Gogo ! Ce qui est sûr, c’est que ces deux-là, avec une pierre et un arbre pour seul environnement, embrassent toute l’humaine condition. Il y a Estragon qui fait des rêves quand il dort et qui les raconte à Vladimir, qui en a assez de ses récits, il y a ce mal aux pieds, ces menaces diffuses, cet étrange couple Pozzo et Lucky, et ce jeune messager venant annoncer à la fin de chaque journée (mais en est-on sûr ?) la venue de Godot… pour le lendemain. Ces clochards existentiels ont leurs questions : « Si on se repentait ? – De quoi ? (…) – D’être né ? » ou encore : « Si on se pendait ? » Mais ils n’ont pas de corde.

Le duo André Marcon et Gilles Privat

En deux actes se terminant chacun de la même façon : « Alors, on y va ? – Allons-y. », Beckett indiquant ensuite : « ils ne bougent pas », l’auteur fait le tour des grandes questions et n’en finit pas, à chaque vision de sa pièce, de nous étonner et nous interpeller. C’est encore le cas avec cette mise en scène d’Alain Françon qui restitue la pièce dans toute son humanité. L’arbre se détache sur un sol aride, devant le ciel crayonné de gris et noir (décor de Jacques Gabel), entre réalisme et abstraction sous les lumières de Joël Hourbeigt et dans lequel viendra s’inscrire la lune, à son heure, ou quand elle veut. Le rythme tonique impulsé dès l’entrée donne une énergique vitalité aux échanges des deux « clochards célestes », admirablement interprétés. André Marcon, terrien, bougon, et Gilles Privat, lunaire, tendre, leur rendent, dans un duo de clowns affûté, leurs tonalités et leurs couleurs multiples, de l’innocence à la peur, de la joie infime à la curiosité, du comique au tragique de l’existence, ils sont un et deux puisque, selon Beckett, l’homme ne peut rester seul. Etre avec un autre, à attendre… le lendemain, la mort ? La vie ? Formidable pièce aux résonances abyssales – l’Histoire, la fraternité,…- et formidable mise en scène.

En attendant Godot       * * * *

La Scala Paris, 13 bd de Strasbourg, Paris 10e. Tél. 01 40 03 44 30. www.lascala-paris.fr Jusqu’au 8 avril.

(Photo Jean-Louis Fernandez)