Ivo van Hove assemble deux pièces d’Euripide en un spectacle sombre, dense et fiévreux.
Après le succès des Damnés, adapté du film de Luchino Visconti, Ivo van Hove retrouve la Comédie-Française pour un nouvel acte de violence programmée remontant celui-ci aux origines du théâtre, à la tragédie grecque car, selon lui, « les pièces d’Euripide sont d’une brutalité et d’un réalisme presque contemporains ». En liant Electre et Oreste (413 et 409 av. J.C.), le metteur en scène flamand traque la violence et accélère le thème de la radicalisation à travers la figure d’Electre, désireuse de venger son père, Agamemnon, assassiné à son retour de la guerre de Troie, par sa femme Clytemnestre et Egisthe, son amant. Après un exil de sept années, Oreste, le frère d’Electre, revient à Argos. Pour les deux enfants, la vengeance est en marche. Jusqu’au meurtre ultime, le matricide, accompli par Oreste. Cette radicalité de la violence se joue du côté des exclus, englués dans un sol boueux, marqueur du rejet social et de la marginalisation. Au centre du plateau, un cube gris, à la fois refuge d’Electre et palais d’Argos, et côté cour, une passerelle par laquelle arrivent les visiteurs, les puissants descendant de l’olympe, amenés à trébucher dans la glaise.
L’outrance comme un exorcisme
D’entrée, l’ambiance créée par le décor de Jan Versweyveld est crépusculaire. Le chœur est rassemblé autour d’Electre, par moments il entamera une chorégraphie tribale (Wim Vandekeybus). La conception sonore d’Eric Sleichim rythme la tragédie au son des timbales et des percussions. Sans doute est-ce du fait de la musique, les interprètes sont sonorisés, et on peut le regretter, certaines voix y perdant en singularité et les modulations en subtilité. La mise en scène ne fait pas dans la distanciation, l’épure, elle appuie le réalisme, le tragique, la barbarie, la violence physique, ne dédaigne pas le gore et la démesure, fureur, boue et sang mêlés quand le frère et la sœur sont pris dans l’engrenage d’une folie meurtrière. Les comédiens sont impressionnants, à commencer par le trio broyé par la fatalité : Christophe Montenez, totalement habité par son personnage, subjugue par l’intensité de son désespoir, tout comme Suliane Brahim, Electre rebelle, écorchée, et Loïc Corbery, Pylade, l’ami indéfectible. Elsa Lepoivre (Clytemnestre et Hélène), Denis Podalydès et Didier Sandre imposent avec grandeur les autres figures de la tragédie ancestrale.
Electre/Oreste * * *
Comédie Française, Place Colette, Paris 1er. Tél. 01 44 58 15 15. www.comedie-francaise.fr En alternance jusqu’au 3 juillet. Tournée internationale Festival d’Athènes et d’Epidaure, 26 et 27 juillet.
Le spectacle sera retransmis en direct dans plus de 200 salles de cinéma le jeudi 23 mai à 20 h 15. Reprises au cinéma les 16, 17 et 18 juin. Réservations sur pathelive.com