Comme tu me veux

Stéphane Braunschweig inscrit la pièce de Pirandello dans son contexte historique post traumatique. A découvrir ou redécouvrir

La pièce n’est pas parmi les plus connues de Pirandello. Ecrite en 1929, lorsque l’auteur s’était exilé à Berlin, elle est imprégnée de l’atmosphère traumatique des années d’après la Première Guerre mondiale, quand le nazisme est en pleine ascension en Allemagne et que le fascisme s’installe en Italie. Elle a été créée en 1930 à Milan avec Marta Abba, à qui le dramaturge sicilien la destinait, dans le rôle principal. Le premier tableau plonge dans l’ambiance décadente des nuits berlinoises où une femme qui n’a pas de nom est soudain reconnue par un photographe italien. Il voit en elle Lucia, l’épouse de son ami Bruno, disparue dix ans auparavant. Est-elle réellement cette Lucia, violée par un soldat autrichien ? Pour se confronter à cette éventuelle réalité, l’Inconnue accepte de retourner en Italie. Du premier tableau aux teintes mortuaires (splendides tentures vert émeraude), on bascule au deuxième acte dans un salon élégant et lumineux, la demeure familiale en Vénétie. Cette confrontation avec le passé va-t-elle révéler la vérité ? Et quelle vérité ?

Enquête sur l’identité

Toute les interrogations de la pièce sont concentrées sur cette Lucia disparue et peut-être retrouvée. Le suspense accompagne la quête de vérité et plonge dans un abîme de réflexions sur l’identité mais pas seulement. Car Pirandello est maitre en la matière, et n’occulte pas la question de la folie. Véritable enquête sur la construction de soi, le texte explore toutes les pistes possibles comme la disponibilité de l’énigmatique Lucia à endosser une identité : « Fais-moi, fais-moi, comme tu me veux ! » Pour inscrire la pièce dans son contexte historique, l’occupation de la Vénétie dans les années 17-18 et les « crimes contre l’honneur féminin », Stéphane Braunschweig insère des images d’archives dans une mise en scène distanciée et remarquablement tenue. Dès son entrée, Chloé Rejon incarne avec une belle autorité le personnage central de L’inconnue qui s’acharne, manipule, et joue au fil des situations avec les revirements et les mystères. Troublante, la pièce est servie par une distribution homogène, où s’imposent de fortes présences : Annie Mercier, Alain Libolt, Cécile Coustillac.

Comme tu me veux  * * *

Théâtre de l’Odéon, Place de l’Odéon, Paris 6e. Tél. 01 44 85 40 40. www.theatre-odeon.eu Jusqu’au 9 octobre. Tournée : CDN Orléans 26 et 27 avril 2022, Teatro Stabile de Turin, en Italie, du 27 au 29 mai, Konzert Theater de Berne, en Suisse, le 29 juin.

(Photo Simon Gosselin)