Au Théâtre Marigny, Frédéric Bélier-Garcia reprend la pièce de Max Frisch, celle qui a marqué ses débuts au théâtre. Avec José Garcia, Isabelle Carré et Jérôme Kircher
Bientôt deux heures du matin. La soirée est terminée dans l’appartement de M. Kürmann, mais une jeune femme est encore là, assise sur le canapé. S’en va ? S’en va pas ? Hésitations, puis une voix interrompt : « Et si on la refaisait ? » A partir de là, un meneur de jeu prend les rênes de la partie et propose à Kürmann, comme pour un tournage de cinéma, de revivre le moment, trouver une autre issue à la scène, et d’orienter ainsi différemment son destin. Car une histoire va naître entre lui et Antoinette, une histoire d’amour qui aurait pu ne pas exister si… si tout s’était passé autrement. Jouant d’infinies variations sur le thème de « Si c’était à refaire », l’auteur suisse Max Frisch échafaude tous les scénarios possibles, et toutes leurs suites. Qui n’a pas joué à « si j’avais pris un autre chemin », « si je n’étais pas allé à ce rendez-vous » ? Les possibilités sont multiples, la spirale sans fin. Autant dire que le plaisir du jeu, et ici du texte, fait des étincelles sur une scène de théâtre. Que représente Antoinette dans la vie de Kürmann ? Un « grand gaspillage » ? Comment se serait écrite sa biographie sans cette rencontre ? Les pièces du puzzle sont multiples et se réorganisent à l’infini.
Une interprétation solide
Déjà, fin 1999, Frédéric Bélier-Garcia, pour sa première mise en scène, avait choisi le texte de Max Frisch, par ailleurs architecte. Des années après, il y revient, avec une distribution différente. Dans des changements de décors (Alban Ho Van) à vue, les comédiens se prêtent aux répétitions, reprises et changements infimes de dialogues avec docilité. Comme dans les toiles de Hopper, un sentiment de solitude se dégage de certains tableaux. Pour se déplacer dans ce labyrinthe de mises en abyme, le metteur en scène a réuni une interprétation solide. Isabelle Carré joue Antoinette, qui gardera son opacité et son mystère, José Garcia est impeccable, Kürmann déconcerté et empreint d’une certaine gravité, et Jérôme Kircher mène le jeu d’un ton ferme, entre cynisme et manipulation. Ana Blagojevic et Ferdinand Régent-Chappe, très pertinents, complètent la distribution. A la fois comédie et conte philosophique, la pièce de Frisch n’en finit pas d’interpeller, et donner envie de jouer. Les interprètes le lui rendent à merveille.
Biographie : un jeu * *
Théâtre Marigny, Carré Marigny, Paris 8e. Tél. 01 86 47 72 77. www.theatremarigny.fr Jusqu’au 17 mars.
(Photo Giovanni Cittadini Cesi)