Anne-Marie la Beauté


A la Colline, reprise de la pièce de Yasmina Reza interprétée par André Marcon, prix du meilleur comédien du Syndicat de la critique de la saison 2020

C’est une femme ordinaire assise sur une méridienne tendue de velours vert. Tout en parlant, elle achève de s’habiller, enfile une jupe, un corsage… « Moi, je viens de Saint-Sourd-en Gers, madame,… » Anne-Marie Mille s’adresse à un interlocuteur invisible. Ancienne artiste de second plan, elle a eu ses heures de (très petite) gloire, suivi sa vocation, vécu son rêve : être actrice. Jeune fille, elle découpait les photos de Brigitte Bardot dans les journaux se fantasmait en « Anne-Marie la beauté » et n’a jamais oublié les comédiens qui passaient dans les rues de son village du Nord : « ils marchaient au-dessus du sol en enjambées gracieuses. On n’était pas grand-chose à côté. » Pas assez belle pour faire du cinéma, comme Gisèle Fayolle, Gigi, une amie de jeunesse perdue de vue et retrouvée sur le tard. A travers le souvenir de cette autre, qui connaîtra le succès, Anne-Marie se raconte à « madame », « monsieur », « mademoiselle », comme pour des interviews imaginaires. Défile une vie à jouer pour s’évader, oublier l’ordinaire, le quotidien, où ressurgit tout un petit monde, les acteurs du Théâtre de Clichy, la troupe de Prosper Ginot…

Un rôle écrit sur mesure

Yasmina Reza le dit : elle a écrit son texte pour André Marcon, qui a souvent joué dans ses pièces. Et l’idée est formidable de lui confier ce monologue. Sans idée de travestissement ni souci de genre, avec seulement une perruque, quelques bijoux, un sac et des vêtements basiques, le comédien incarne le personnage d’Anne-Marie telle que l’a imaginée Reza. En toute évidence, et humanité douce. Il décline la simplicité du style, la clarté du récit d’une vie qui « a passé à toute blinde ». Où l’on retrouve la lucidité parfois féroce, la dérision, l’humour, de son auteur. Des notes de piano (musique de Laurent Durupt d’après Bach- Brahms), la scénographie d’Emmanuel Clolus, des silhouettes sorties des peintures d’Örjan Wikström projetées sur les murs, le spectacle, parfaitement abouti, rend un hommage sensible et émouvant à tous les seconds rôles oubliés. Formidable adéquation entre un texte et son interprète.

Anne-Marie la Beauté                  * * *

Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris 20e. Tél. 01 44 62 52 52. www.colline.fr Jusqu’au 23 décembre.

(Photo Simon Gosselin)