A la Colline, un ancien conte napolitain adapté par Emma Dante fait revivre les disparus
La scène est plongée dans le noir. Un vieil homme, resté seul dans la maison familiale, observe la pâte qu’il a préparée pour confectionner le gâteau traditionnel offert aux morts en ce 2 novembre, jour des défunts en Sicile. Derrière lui, trois femmes en noir, telles des Parques. Dans l’attente que la pâte lève, tout en la saupoudrant de farine, il se remémore ses chers disparus qui, peu à peu, viennent l’entourer. Outre ses trois jeunes sœurs, mortes du typhus, il y a le père marin parti un beau jour, la mère inconsolable espérant son retour tous les matins, et aussi une tante, son amant espagnol, le garçon adopté,… Chacun est là, saisi dans son temps, avec son caractère affirmé, sa personnalité, bien en vie. Ca joue et chahute sur le plateau, ça danse, s’aime et se bat : les femmes à la vie difficile, les hommes ingrats et volages. Quand la pâte du gâteau est levée, le vieil homme peut enfin donner forme au puppo di zucchero, petite poupée recouverte de sucreries.
Des marionnettes saisissantes
Alors quand le puppo est prêt, les morts réapparus sur scène ressurgissent le temps d’une nuit. Enlacés cette fois avec le pantin de leur cadavre, ils entament une danse qui n’a rien de macabre. Cette ronde de couples de fantômes, où l’on reconnaît la personnalité de chaque disparu, est d’une mélancolique et profonde beauté à couper le souffle. Pour créer ces saisissantes marionnettes, le sculpteur Cesare Inzerillo s’est inspiré des corps momifiés des catacombes des Capucins, à Palerme. Image que l’on retrouve lorsque chaque pantin est suspendu par son double dans une niche, composant un émouvant autel des morts. Avec cette adaptation d’un conte du poète napolitain Giambattista Basile (1), Emma Dante se moque de l’irrémédiable et invite les morts sur scène à venir partager avec les vivants. Grâce à son théâtre simple et vrai, entre rêve et cauchemar, mêlant tarentelle, travail du corps, danse, pantomime, et en sortant de l’oubli la « langue des pauvres » que sont les dialectes napolitain et palermitain, elle y réussit avec une formidable vitalité, et c’est très beau.
(1) A partir du 17 juin, est programmée une deuxième adaptation par Emma Dante d’un autre conte de cet auteur : La Scortecata, jusqu’au 28 juin.
Puppo di zucchero * * *
Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris 20e. Tél. 01 44 62 52 52. www.colline.fr Jusqu’au 18 juin.
(photo Christophe Raynaud de Lage)