Sens dessus dessous

Aux Bouffes Parisiens, André Dussollier se met en scène avec maestria dans un choix de textes régalant

En toile de fond, une gravure ancienne laisse présager un récital de facture classique. Mais voici que la gravure s’ouvre sur une photo d’extérieur, qui s’anime, découvrant le fracas de la ville. C’est à cet instant qu’il fait irruption : « Tout seul ! » Enfin ! André Dussollier s’installe dans un fauteuil et fait sien le texte de Sacha Guitry, Un soir quand on est seul, débité à vive allure. Et d’enchainer sur Tragédie classique de Roland Dubillard, avec les problèmes de mémoire que peut connaître tout amateur de théâtre, voire tout comédien, même familier de la célèbre tirade d’Hernani : « Charlemagne, pardon ! ces voûtes solitaires/ne devraient répéter que paroles austères»… Oui, et ensuite ? C’est là qu’intervient l’humour, la modestie, la fine intelligence et l’ironie de ce comédien singulier qui a composé et mis lui-même en scène ce dernier spectacle. Ainsi il introduit des images animées (Laurel et Hardy, décor d’immeuble, ciel,…) pour illustrer ou accompagner son choix de textes et emballe ainsi la cadence. Avec un brio époustouflant, il se lance dans les textes, décoiffe son auditoire à coups de mots, passe sans temps mort d’une phrase à un monologue, d’une fable aussi étonnante et effrayante que Le Crapaud de Victor Hugo à une histoire drolatique, comme La pénitence est douce, au sketch de Devos qui a donné son titre au spectacle : Sens dessus dessous, une histoire d’appartement…

Au bonheur des mots

Ces textes sont désormais les siens. Jamais à court de souffle, vif, alerte, Dussollier les enchaîne, laissant à l’auditoire le soin de deviner leurs auteurs, ou pas, occupe le plateau en athlète de la scène. Pour un peu, il pourrait concourir aux J.O ! Ne découvre-t-on pas, derrière lui, un stade comble pour illustrer le monologue du Lanceur, de Paul Fournel ? De l’ivresse célébrée par Baudelaire aux Monstres sacrés de Sacha Guitry (dont il rappelle au passage qu’il joua sur cette même scène il y a un siècle) en faisant un détour par une malicieuse série de Vœux présidentiels, tout paraît facile, naturel. Jusqu’à cet interview où il se retrouve, par la magie des nouvelles techniques, face à lui-même. A travers le mélange des époques, c’est tout un échantillonnage de l’esprit français dans ce qu’il a de léger, impertinent, qui est ressuscité, partagé. Elégance du geste, précision de la diction, vivacité pour ne pas s’appesantir, il glisse entre les textes, se glisse entre les auteurs, dans un vertige éblouissant, pour l’amour du Mot, qu’il délivre avant de quitter la scène. Année après année, ce grand comédien sage et discret peaufine son art comme un maitre orfèvre. Au service, et pour le plus grand bonheur des mots.

Sens dessus dessous      * * *

Théâtre des Bouffes Parisiens, 4 rue Monsigny, Paris 2e. Tél. 01 86 47 72 43. www.bouffesparisiens.com Jusqu’au 25 mars.

(Photo Pauline Maillet)