Elise Vigier met en scène un portrait croisé du célèbre photographe et de l’écrivain militant
Ils se sont d’abord croisés à l’école, dans les années 30, quartier du Bronx à New York, avant de se retrouver des années plus tard : James Baldwin, écrivain, noir et homosexuel, et Richard Avedon, photographe, juif et hétérosexuel. En 1963, Avedon désire faire le portrait de Baldwin et lui propose d’écrire, en regard, des textes sur l’Amérique de l’époque opposant des contrastes par le croisement de photos : le poète juif Allen Ginsberg et un néo-nazi, Dorothy Parker et Marilyn Monroe, Eisenhower et Malcolm X… Ce sera Nothing Personal, publié en 1964, un ouvrage devenu culte. Le spectacle écrit par Kevin Keiss et Elise Vigier, mis en scène par cette dernière, s’inscrit dans la collection des Portraits de la Comédie de Caen, formes légères portées par un ou deux acteurs, des créations itinérantes qui jettent un regard sur une personnalité et croquent, à partir de biographies, d’entretiens, des portraits comme Letzlove-portrait(s) Foucault, par Pierre Maillet, ou Portrait de Ludmilla en Nina Simone par David Lescot… Librement inspiré d’essais et d’interviews, le texte fait dialoguer les deux artistes à un moment de leur vie.
Croisements de portraits et d’amitiés
La rencontre se passe dans un studio de photo. Baldwin raconte la première fois où il est tombé amoureux, à Paris, Avedon parle de sa sœur, un de ses premiers modèles, à la beauté exceptionnelle, devenue folle, car « la beauté est aussi aliénante que le génie. » Soudain, Marcial di Fonzo Bo (Avedon) saisit de vieux clichés et interpelle son partenaire : à travers ces photos d’enfance personnelles, il interroge à son tour le pouvoir de la photographie, « la juxtaposition sur la photo des vivants et des morts figés dans la même éternité », ce rapport entre la photo et la mémoire. Un glissement subtil s’opère, du jeu théâtral entre Avedon et Baldwin vers les souvenirs personnels de leurs interprètes : l’appartement de Buenos Aires pour Marcial di Fonzo Bo, venu d’Argentine il y a des années, la rue d’Avron pour Jean-Christophe Folly, dont le père est né au Togo. Cette superposition de souvenirs, ce passage entre des temps différents, et ce double croisement de deux amitiés dessinent ainsi en profondeur une carte de l’intime et du politique, des années 60 à aujourd’hui. Ce spectacle court mais passionnant, magnifiquement incarné, interroge sur le regard et l’invisible, jusqu’à cette ultime rencontre d’Avedon avec Renoir racontée par Marcial di Fonzo Bo et qui laisse sans voix.
Portrait Avedon-Baldin : entretiens imaginaires * * *
Théâtre du Rond-Point, 2bis, av. Franklin D. Roosevelt, Paris 8e. Tél. 01 44 95 98 21. www.theatredurondpoint.fr Jusqu’au 17 avril.
(Photo Giovanni Cittadini Cesi)