Au Théâtre de la Reine Blanche, reprise d’une pièce inédite de Nicolas Struve d’après la correspondance entre Tchekhov et Lika Mizinova, qui lui inspira le personnage de la Mouette
Que se passe-t-il à l’acte IV de La Mouette, la pièce de Tchekhov ? C’est le dernier, celui où Nina, la jeune femme qui rêvait de devenir actrice, revient dans sa ville natale, retrouve Treplev, l’écrivain amoureux. David Gouhier (Tchekhov) s’avance sur le plateau, liasse de feuillets à la main. Il découvre l’acte IV, celui du dénouement, quand Treplev fait un constat d’échec de sa vie et raconte le destin de Nina, sa liaison malheureuse avec un homme marié, et la mort de son enfant. Les pages du texte de la pièce rejoignent le sol, le récit théâtral cède la place aux feuillets d’une correspondance privée, celle entretenue par Tchekhov et une jeune actrice, Lydia Mizinova, appelée Lika, à la beauté sublime. Ils se rencontrent en 1889 dans la demeure familiale des Tchekhov. La jeune femme a 19 ans. Tchekhov, 29, il revient de Sakhaline quand débute leur correspondance. Elle durera dix ans, de 1889 à 1900 : il lui écrira 64 lettres, elle, 98. Jamais traduites en français jusque là, on doit à Nicolas Struve, russophone, de découvrir cette correspondance qui éclaire la création de La Mouette, dont la première représentation, en 1896, fut en échec. Recrée en1898, elle rencontrera le succès au Théâtre d’Art de Moscou.
Un jeu amoureux
A partir de fragments de la correspondance et d’extraits de La Mouette, Nicolas Struve a construit un spectacle où la vie passe, palpite et tressaille, comme dans le théâtre de Tchekhov. Les lettres sont pleines de vie, spontanées. Elle lui dit sa vie, elle manie l’audace et l’espièglerie, dans un style pétillant, malicieux. Elle est en attente. Lui la taquine, badine avec l’amour mais, trop velléitaire, ne s’engage pas. «Au revoir, concombre de mon âme, j’embrasse avec une muflerie respectueuse votre petite boite à poudre et j’envie vos vieilles bottines qui vous voient chaque jour », lui écrit-il, et elle de son côté : « Je m’ennuie et rêve d’un rendez-vous avec toi comme les esturgeons rêvent d’eau pure et claire. » Toutefois, quand la spontanéité, l’engagement de Lika sont réels, l’attitude d’Anton a des accents de perversité lorsqu’il lui invente des histoires d’amour avec d’autres écrivains amis, comme Potapenko avec qui elle aura une liaison, le père de son enfant. Tout est dit du jeu amoureux, entre manque, évitement, désir, rendez-vous ratés, et la vie qui passe. La vie, la vie même, qui est au cœur de l’œuvre de Tchekhov, et de ce spectacle, avec ses souffrances et sa triste ironie. Stéphanie Schwartzbrod apporte à Lika un tempérament vif, enjoué et fragile tandis que David Gouhier est le Tchekhov retenu, plus préoccupé de lui-même. D’abord séparés, les deux comédiens se rejoignent, esquissent quelques pas de danse, les corps se retrouvent au milieu des feuilles de papier. Tchekhov et son héroïne réunis.
Correspondance avec la Mouette * * *
Théâtre de la Reine Blanche, 2 bis passage Ruelle, Paris 18ème. Tél. 01 40 05 06 96. www.reineblanche.com Jusqu’au 9 octobre.
(Photo Gabriel Kerbaol)