Marianne Basler dit le texte d’Annie Ernaux, lettre adressée à une sœur disparue. Reprise au Théâtre des Mathurins.
La voix off flotte dans les airs : « Tu as toujours été morte ». Les mots s’adressent à celle qu’Annie Ernaux n’a jamais connue : une fille née avant elle, morte à six ans de la diphtérie, deux ans avant sa naissance. Sa sœur, donc, dont elle n’a découvert l’existence qu’incidemment, en entendant une conversation de sa mère, et ces mots : « Elle était plus gentille que celle-là » qui s’inscriront dans sa mémoire et marqueront sa destinée. Car avant elle, il y a eu une autre fille, qui l’a précédée dans l’amour de ses parents. Est-elle une fille de remplacement ? Comment se construire en étant la sœur d’une morte, que l’on n’a jamais vue, avec laquelle on n’a jamais été « ensemble sur les photos » ? A partir de ce secret de famille, l’écrivaine déroule une recherche quasi psychanalytique, remonte dans ses souvenirs, approfondit l’incidence de la révélation sur sa vie. Elle examine de rares photos, à la recherche de la morte, et d’elle-même, qui n’a pas interrogé ses parents lorsqu’ils étaient en vie. Ne doit-elle pas à sa sœur sa décision de devenir écrivain ? N’a-t-elle pas vécu, écrit contre elle ?
Intimité de la représentation
Assise à une table-bureau, Marianne Basler s’adresse à cette sœur. La lettre est difficile à écrire, elle traque le mot juste, froisse les feuilles de papier quand elle n’y arrive pas. Tantôt elle se lève, s’approche d’une porte d’où s’échappe un rai de lumière, comme s’il y avait une présence de l’autre côté. Le secret derrière la porte… De délicates touches musicales, un éclairage doux (lumières enveloppantes de Franck Thévenon) baignent ce moment d’une infinie justesse co-mis en scène avec Jean-Philippe Puymartin. La comédienne se tient bien droite, laisse deviner la raideur de la mère, la quête de la jeune fille. Elle s’inscrit dans l’économie de style, la clarté de l’écriture d’Annie Ernaux dont elle fait résonner les mots avec une sensibilité pudique. En proximité avec le texte, à tel point que l’on a parfois l’impression de voir l’auteure elle-même à sa table de travail. Un très beau moment d’une grande intensité émotionnelle.
(publié en mars 2019)
L’autre fille * * *
Théâtre des Mathurins, 36 rue des Mathurins, Paris 8e. Tél. 01 42 65 90 00. www.theatredesmathurins.com Du 29 septembre au 30 octobre.
(photo Julien Piffaut)