Procès

S’inspirant du héros de Kafka, Krystian Lupa livre une vision du monde sombre et pessimiste

Ce Proces a failli ne jamais voir le jour. Commencées en 2015 au théâtre Polski de Wroclaw, les répétitions avec les comédiens sont suspendues avec la nomination, par le gouvernement nationaliste, d’un nouveau directeur, Cezary Morawski, en opposition avec la ligne artistique du lieu. Krystian Lupa quitte alors le théâtre à l’été 2016. Mais grâce au soutien de théâtres et de festivals européens, la pièce a pu être créée en 2017, au Nowy Teatr de Varsovie, producteur principal du spectacle. Pendant des mois, en signe de protestation contre la « politique culturelle » de leur pays, les comédiens polonais ont salué la bouche fermée par un scotch noir. Ils reprennent ce geste dans une scène de Proces. Derrière Kafka, Lupa se fait lanceur d’alerte sur la fragilité de nos démocraties. Court en filigrane, tout au long de la pièce, la corruption des fonctionnaires, l’absurdité des lois que l’on modifie dans le seul but d’obéir à la règle du changement, sans se soucier de l’individu.

Une atmosphère fantomatique

Dès le premier matin où il arrive chez sa logeuse, on suit Joseph K. sur le fil d’une existence vacillante. Arrêté, coupable sans savoir de quoi, soumis à un interrogatoire, il marche titubant vers une condamnation absurde. Parfois, proche de la folie, il est dédoublé. Ses cauchemars sont peuplés de personnages, de fantômes extraits par Lupa de l’édition critique allemande du livre, et insérés dans la partie centrale du spectacle : les proches de l’écrivain, en particulier sa fiancée de l’époque, Felice Bauer, qu’il a quittée et qui lui intentera un procès, et l’ami Max Brod, qui sera son biographe. Dans le cadre de scène cerné d’un trait rouge lumineux, comme une ligne de partage entre rêve et réalité, folie et raison, la scénographie du maître polonais déroule d’éblouissants tableaux à l’atmosphère fantomatique, grise, désespérante, jouant avec la transparence, la superposition. Du grand art de la profondeur déployé dans un espace-temps à nul autre pareil, étiré, comme suspendu. D’une présence à couper le souffle, les comédiens sont tous magnifiques, comme Andrzej Klak qui joue Franz K.

Proces (Le Procès)                       * * *

Théâtre de l’Odéon, place de l’Odéon, Paris 6e. Tél. 01 44 85 40 40. www.theatre-odeon.eu Jusqu’au 30 septembre. Durée : 5 heures. En polonais sur-titré en français.