Mère

A La Colline, reprise de la pièce de Wajdi Mouawad sur sa mère et la déchirure de l’exil

En bord de scène, l’auteur et directeur de La Colline, dans une courte présentation, confie ne plus avoir pleuré depuis la mort de sa mère. C’était en 1987, il avait alors 21 ans, Jacqueline, 55. Puis il rejoint le plateau, retrouve l’appartement parisien des années d’exil, où la mère vit avec ses trois enfants. Deux seulement sont sur scène : le jeune Wajdi et sa sœur ainée Nayla. Dans ce troisième opus du cycle autobiographique Domestique, après Seuls et Sœurs (et avant Père et Frères), Wajdi Mouawad, né au Liban en 1968, ressuscite sa mère pendant les années d’exil à Paris, entre 1978 et 1983. Après les cinq ans passés dans la capitale, faute de prolongation du permis de séjour, le Québec sera l’autre pays d’accueil de la famille. Le portrait maternel, tendre, émouvant, mêle fiction et le flou des souvenirs. Jacqueline, forte personnalité, excessive, débordante, parlant haut et fort, occupe tout l’espace. Ses journées sont occupées par la cuisine et la préparation de plats traditionnels, seul lien avec le pays d’origine, hormis les rares appels de son mari Abdo, resté sur place, et son unique obsession, avec le retour au pays. Tandis que les enfants s’adaptent à la situation, Jacqueline n’accepte pas l’exil et ne s’intégrera jamais, son esprit est toujours « là-bas ». C’est quoi une guerre civile ? demande le jeune Wajdi à sa mère. Difficile de répondre…

Les années capitales

Mouawad traverse la scène comme il remonterait le temps, installe un objet, dispose un meuble, côtoie l’enfant qu’il a été, la mère autoritaire, obsessionnelle, inquiète, qui n’a pas de place pour la douceur, la sœur qui découvre la liberté. Les nouvelles du Liban arrivent par les coups de fil des sœurs de Jacqueline, ils sont épisodiques, fragiles. Seule évasion, la télévision et ses émissions de variété de l’époque, ses feuilletons, ses chanteurs, et bien sûr le journal télévisé. Par intervalles, Christine Ockrent elle-même est sur scène en lieu et place de la télévision, apportant les nouvelles de la guerre civile à Beyrouth. Aïda Sabra interprète avec une belle autorité (et le volume sonore qui s’impose) la mère, et partage avec Odette Makhlouf, la sœur, la traduction en langue libanaise du texte. Théo Akiki (en alternance avec Emmanuel Abboud, Dany Aridi, Augustin Maîtrehenry) joue le jeune Wajdi tarabusté par sa mère qui ne sait pas alors qu’il vit les années les plus marquantes de sa vie, celles qui décideront de son avenir. A un moment de la pièce, l’auteur metteur en scène s’assied sur le devant de la scène et parle à sa mère, comme on ne peut parler qu’aux absents, de sa vie, du sentiment d’exil et de la nécessité de faire du théâtre. Une scène qui dit le cœur de l’œuvre de Mouawad.

Mère  * * *

La Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris 20e. Tél. 01 44 62 52 52.www.colline.fr Du 10 mai au 4 juin. Spectacle en français et en libanais surtitré.

(Photo Tuong-Vi Nguyen)