Je pars sans moi

A la Colline, Isabelle Lafon joue avec les frontières de la folie

« Chaque spectacle me désarçonne et celui-là plus que les autres. » C’est à partir d’un texte écrit en 1882 par une « aliénée » lors d’un atelier d’écriture que Isabelle Lafon a conçu ce dernier spectacle. Une femme, internée à Sainte-Anne, dont elle ignore le nom et qu’elle refuse de nommer « anonyme », a écrit Impressions d’une hallucinée (revue L’Encéphale) et la metteure en scène s’en empare pour écrire, avec Johanna Korthals Altes, ce spectacle ô combien singulier et évanescent qui prend dans ses charmes. Les deux interprètes y tissent le fil de nos « folies » et de nos voix intérieures pour  « tenter d’approcher ces moments de désarrois mentaux plus ou moins aigus, plus ou moins longs, susceptibles de tous nous concerner. » Pour ce faire, elles ont rencontré des psychiatres, des enfants ou adultes hospitalisés et se sont imprégnées des œuvres du psychiatre Gaëtan de Clérambault et des écrits de Fernand Deligny, François Tosquelles, à l’hôpital de Saint-Alban, ou Jean Oury. 

La porte

Isabelle Lafon et sa complice Johanna Korthals Altes s’accompagnent, ne se quittent pas, ont peur de se perdre. Il y a celle que l’on dit « folle » et celle qui l’écoute. Et si la folie pouvait s’inverser ? Et si la folie pouvait se transmettre ? Un double jeu de glissements, de la « normalité » vers la « folie », et de l’interprète vers son personnage s’opère. Isabelle Lafon devient Melle M., née en 1853, internée parce qu’elle entend des voix. Attention à ne pas se laisser traverser trop profondément… Sur le plateau, aucun mur, mais une porte. La pousser ? La franchir ? Sur quel inconnu débouche-t-elle ? Tout est finement pesé, suggéré, dans ce délicat spectacle au titre emprunté à un poème d’un jeune garçon de 8 ans, Yanis : « Je pars sans moi… Tu n’as qu’à m’attendre là-bas ». Délicat mais troublant, et passionnant.

Je pars sans moi                              * * *

Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris 20e. Tél. 01 44 62 52 52. www.colline.fr Jusqu’au 12 février.

(photo Tuong-Vi Nguyen)