Invisibili

Aurélien Bory transporte et déploie sur la scène des Abbesses la reproduction d’une toile du XVe siècle venue de Palerme

Pas de constructions géométriques, encore moins d’abstractions métaphysiques familières à Aurélien Bory dans ce dernier spectacle créé au Teatro Biondo, à Palerme, en octobre 2022, mais des couleurs, des personnages venus de la nuit des temps et aussi d’aujourd’hui. Subjugué par la découverte, dans un musée palermitain, d’une fresque murale du XVe siècle, Le Triomphe de la mort, peinte dans la cité sicilienne, Aurélien Bory la reproduit sur scène dans toute sa dimension (6 x 6 mètres) pour en faire la toile de fond d’une interrogation sur l’art et la mort. On ne voit pas tout d’abord la toile, repliée sur le plateau, puis elle se lève et se déroule, dévoilant la splendeur de ses couleurs et la cruauté de son propos : un squelette armé d’une flèche chevauche une monture à l’assaut de la population d’un village. Ce duel entre la vie et la mort, peint pendant l’épidémie de la peste, le metteur en scène va le transposer au temps présent, le décliner en différentes séquences et figures plus ou moins inspirées et incarnées.

Réminiscence de Pina Bausch

C’est tout d’abord un migrant nouvellement débarqué (Chris Obehi) qui fait son apparition, puis trois danseuses (Blanca Lo Verde, Maria Stella Pitarresi, Arabella Scalisi) et une femme (Valeria Zampardi) chez laquelle l’on va découvrir un cancer du sein. Et encore des chaises qui vont vibrer sur le plateau, clin d’œil au Café Muller de Pina Bausch, dont Bory s’inspire dans certains mouvements de la chorégraphie et qui se souvient de son superbe Palermo Palermo. Le musicien et saxophoniste Gianni Gebbia accompagne les mouvements, comme le comédien d’origine nigérienne Chris Obehi, avec le Hallelujah de Leonard Cohen. Bory, lui, joue avec la tenture, la plie et la replie, crée des nœuds, des formes, comme un siège où s’asseoir pour se mêler aux personnages, ou encore libère des passages. La toile bouge, s’agite, comme une matière vivante. Elle fait des vagues, et le canot où ont pris place les personnages a fort à faire pour suivre sa route et arriver à bon port. Les tableaux ainsi créés sont spectaculaires mais attendus, lisses. Manquant souvent de profondeur, ils ne parviennent pas à dégager une véritable émotion. Passé le choc de sa découverte, la magnificence de la toile écrase littéralement les personnages. L’amalgame de la beauté imposante et hypnotique du tableau et de la douleur des tragédies actuelles, s’il est strictement accompli, reste le plus souvent au stade de l’image.

Invisibili                              * *

Théâtre de la Ville, Les Abbesses, 31 rue des Abbesses, Paris 18e. Tél. 01 42 74 22 77. www.theatredelaville-paris.com Jusqu’au 20 janvier.