Illusions perdues

Pauline Bayle adapte et met en scène l’œuvre de Balzac avec la compagnie A tire-d’aile

Porter au théâtre le roman monstre d’Honoré de Balzac, le pari était ambitieux. Mais l’adaptation n’effraie pas Pauline Bayle, bien au contraire, elle stimule son imaginaire, le roman met en marche chez elle « un moteur de nécessité ». Après le formidable diptyque Iliade et Odyssée, avec sa compagnie A tire d’aile (prix Jean-Jacques Lerrant 2018 du Syndicat de la critique dramatique), la jeune metteure en scène poursuit son « travail sur les grands textes fondateurs de la littérature » et part du matériau balzacien pour « faire naître un objet qui n’existait nulle part ailleurs. » Car « l’on peut tout raconter sur un plateau de théâtre ». Et c’est réjouissant. « Qu’était-il dans ce monde d’ambitions ? Un enfant qui courait après les plaisirs et les jouissances de vanité, leur sacrifiant tout. » Ainsi Honoré de Balzac voyait-il Lucien de Rubempré, son héros des Illusions perdues. Un jeune homme ambitieux convaincu de son destin littéraire et décidé à saisir toutes les opportunités.

Une adaptation libre et efficace

Même condensé, le monument littéraire conserve sa vision acérée des personnages et sa profondeur d’observation des relations. L’adaptation n’est pas au mot près, l’œuvre est parfois trahie, les coupes sont franches pour se concentrer sur la partie centrale de l’œuvre. L’action, resserrée, nerveuse, s’emballe, du départ précipité d’Angoulême à l’arrivée mouvementée dans la capitale où Lucien, abandonné par sa protectrice, doit survivre. C’est l’époque -les années 1820- des débuts de l’argent roi. La société parisienne est cruelle pour les jeunes provinciaux, même talentueux. Le milieu journalistique, celui de l’édition, du théâtre, de la politique sont dépeints comme des sociétés où les compromissions sont monnaie courante, où la conscience est mise de côté. Pour Lucien, dure sera la chute.

Le plateau comme un ring

Nul recours, pour Pauline Bayle et sa compagnie, à des décors. Le seul plateau, quelques sièges, et les personnages se croisent, les relations se nouent, se défont, sur fond d’intérêt, au gré des désirs et des opportunités. Le public, installé sur les quatre côtés du plateau voient les cinq comédiens Charlotte Van Bervesselès, Hélène Chevallier, Guillaume Compiano, Alex Fondja passer d’un personnage à l’autre (une vingtaine), tandis que Jenna Thiam interprète le jeune Lucien. Ils sont tous splendides. Les corps se télescopent, s’embrassent, se quittent, tapent du pied dans une danse effrénée, expriment la vitalité, le fracas de la ville. C’est tonitruant, haletant.

Illusions perdues               * * *

Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris 11e. Tél. 01 43 57 42 14. www.theatre-bastille.com Jusqu’au 16 octobre. Puis tournée.

(Photo Simon Gosselin)