Girls and boys

Au Théâtre 14, Bénédicte Cerutti impressionne dans le texte de Dennis Kelly

Une femme se présente devant la scène, commence à raconter son histoire : sa rencontre inattendue, dans une file d’attente à l’aéroport, avec celui qui deviendra son mari, la relation du couple, l’arrivée des enfants, l’évolution professionnelle de chacun,… Montée sur la scène, coupée dans sa largeur par une cloison métallique aux parois coulissantes, elle s’adresse à ses enfants comme s’ils étaient présents, leur parle, les gronde ou les encourage. Entrouverts, les panneaux dévoilent une table avec des chaises, plus loin un canapé, le décor intérieur d’une vie… d’avant la catastrophe. L’écriture de Dennis Kelly (Occupe-toi du bébé, Love and money, Orphelins,..), fin observateur de la société actuelle et de ses dérèglements, est factuelle, clinique, énergique. Cela fait trois saisons, le public parisien découvrait ce dernier texte de l’auteur britannique dans une mise en scène de Mélanie Leray, interprété magnifiquement par Constance Dollé (Molière du Seule en scène 2019). Un dispositif intime, autour d’une table où quelques spectateurs étaient conviés. On ne peut s’empêcher d’y repenser au vu de la scénographie de Pierre Nouvel qui agit comme un couperet : la fracture tranchante, à vif, dans la vie du personnage.

Un récit glaçant

L’auteur, traduit par Philippe Le Moine, dit les choses franchement, crûment, et manie habilement les ruptures de style, de la gouaille à l’horreur. Elles sont parfaitement servies par l’interprétation de Bénédicte Cerutti, en équilibre au bord du précipice et qui, s’adressant au public, passe en une fraction de seconde des moments cocasses de la rencontre avec celui qui, pourtant, dès le début « lui a déplu », au désenchantement de la relation, au changement perceptible du mari, à sa menace… Comment deviner la virilité blessée, imaginer les gouffres, la violence souterraine ? La mise en scène épurée de Chloé Dabert, directrice de la Comédie de Reims où elle a créé le spectacle, suit au plus près le récit au rythme d’un thriller, en même temps que les méandres du cerveau de la narratrice, toujours occupé par le souvenir et la présence de ses enfants. Comme anesthésiée, mais toujours concrète, Bénédicte Cerutti développe une palette d’émotions, suggère et fait surgir l’effroi, la sidération. Abrupte, chavirante et radicale, constamment sur le fil, elle bouleverse.

Girls and boys   * * *

Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier, Paris 14e. Tél. 01 45 45 49 77. www.theatre14.fr Jusqu’au 23 décembre. Tournée : Les Quinconces, Le Mans, du 17 au 18 janvier 2023, EMBK, Metz, 9 mars, TNB, Rennes, 28 mars au 1er avril, Les Célestins, Lyon, 26 avril au 7 mai.

(Photo Victor Tonelli)