Au Mémorial de la Shoah de Drancy, une exposition de lettres d’internés, du Vel d’Hiv à Auschwitz. Dans le cadre de la 80ème commémoration de la Rafle du Vel d’Hiv.
Elles ont été écrites au Vel d’Hiv, à Drancy, dans le Loiret, dans d’autres camps d’internement ou encore dans la promiscuité et les cahots d’un convoi de déportation. Ce sont des mots d’amour jamais dits, des instants de vie et des derniers adieux, parfois des demandes d’aide pour un enfant laissé derrière soi. Confiés au soin d’un voisin, d’un inconnu, expédiés ou jetés d’un train comme une bouteille à la mer, ces témoignages bouleversants traversent le temps. « Ma chère petite femme et mes bien aimées filles, ce matin mercredi 30 (septembre 1942) je pars à destination inconnue. Je te le jure que je suis fort et courageux (… ) Je t’assure que bientôt je reviendrais et nous oublierons tout. » Datée de Drancy, cette lettre est écrite sur une feuille de papier dont chaque interstice est rempli, l’écriture se rétrécissant de plus en plus pour ne laisser aucun vide. D’autres sont écrites sur des cartes d’une écriture si serrée et si fine pour rentabiliser l’espace, qu’elles sont quasi illisibles, au point d’être rejetées par la censure. Mais nombreux sont les mots griffonnés en urgence sur des cartes, bouts de papier, ou même supports publicitaires et papiers d’emballage. Karen Taieb, responsable des archives du Mémorial de la Shoah, et Tal Bruttmann, historien, ont réuni dans une exposition richement documentée ces précieux messages laissés par les juifs déportés vers les camps d’extermination.
Le voyage vers l’inconnu
A partir de la fin 1940, des dizaines de milliers de juifs se retrouvent enfermés dans les camps d’internement de la zone libre, puis de la zone occupée. Leur seul lien avec l’extérieur devient alors la correspondance. Comment se procurer du papier ? Comment faire parvenir le courrier à leurs proches ? Contourner la censure ? A l’été 1942, le camp de Drancy devient le principal camp de transit, les convois vers Auschwitz partent tous les deux ou trois jours. Parmi les 42 000 juifs déportés cette année-là, plus de 30 000 le sont depuis Drancy et en 1943-1944, la quasi totalité des déportés de France transite par le camp. De l’internement à la déportation, l’exposition met en avant le rôle essentiel des lettres. Des panneaux biographiques sont consacrés à des familles ou des personnes, ainsi Fernande Epelbaum, la famille Berr, Irène Epstein-Némirovsky, née à Kiev en 1903, établie en France en 1918, arrêtée en 1942 et assassinée à Auschwitz la même année et dont sont exposées les deux dernières lettres.
Des témoignages essentiels
Pour Karen Taieb qui collecte ces lettres ou simples billets depuis des années, ce sont là des témoignages essentiels qui participent à la mémoire de la Shoah. Il lui a été difficile de choisir parmi les milliers de documents confiés par les descendants et enfermés dans les cartons. Sur les dix mille lettres récupérées, deux cents sont exposées, et retranscrites. L’archiviste est ainsi parvenue à réunir une ou parfois plusieurs lettres par convoi, à l’exception de trois sur les 79. Du Vel d’Hiv, seulement dix-neuf lettres sont recensées alors que 8 000 personnes y ont été rassemblées. La première lettre exposée date de 1941, la dernière de 1944. « Nous t’écrivons en ce moment dans un wagon car depuis ce matin nous sommes en route vers une destination inconnue. » (mot jeté par une déportée du convoi 15). Des lettres qui disent la force et le courage de ces hommes et de ces femmes. Des morceaux d’humanité, des destins individuels impossibles à oublier.
« C’est demain que nous partons. »
Mémorial de la Shoah, 110-112 avenue Jean-Jaurès, 93 700 Drancy. Tél. 01 42 77 44 72. www.memorialdelashoah.org Jusqu’au 22 décembre. Tous les dimanches, une navette gratuite dessert le site de Drancy à partir du Mémorial de la Shoah de Paris, 17 rue Geoffroy-l’Asnier, Paris 4e. Visite guidée tous les dimanches à 15 h.
(Photo Memorial de la Shoah/coll. Régine Betts)