Aux Bouffes du Nord, Clément Hervieu-Léger signe une magnifique mise en scène de la pièce de Goldoni
C’est sans doute la pièce la plus personnelle et la plus aboutie de Goldoni. Celle où le maître de la comédie italienne dit adieu à sa ville natale, Venise. On est en 1762. Usé par la rivalité avec le Comte Gozzi, Carlo Goldoni a accepté un contrat de la Comédie des Italiens de Paris. Avant de quitter son public, il écrit cette pièce, présentée au théâtre San Luca à Venise, Une des dernières soirées de carnaval, qui est pour lui une dernière représentation dans sa ville. Comme son personnage, le jeune dessinateur Anzoletto, Goldoni dit au revoir à sa ville. Il n’y reviendra pas. La comédie est une allégorie : mettant en scène des tisserands exécutant les modèles des dessinateurs, elle rend hommage aux comédiens interprétant les oeuvres des auteurs. Goldoni y fait vivre toute une petite société d’artisans : tisserands, calandreurs, dessinateurs, apprentis, marchands,,… où règne l’amour du métier et le savoir-faire, à l’égal de l’artisanat théâtral, où le travail de chacun s’appuie sur celui de tous. « Mes caractères sont vrais, simples et agréables », écrit Goldoni dans sa préface. Il y a là Domenica, la jeune fille, l’incorrigible Momolo, l’éternelle insatisfaite Mme Alba (« si on mettait une chose pareille sur une scène de théâtre, on ne le croirait pas »), une brodeuse française, et bien d’autres encore composantes d’un théâtre de groupe où les caractères sont parfaitement cernés, puisque « rien n’est plus beau à étudier que le caractère des gens »
Une harmonie totale
Clément Hervieu-Léger a choisi l’excellente et sensible traduction de Myriam Tanant et Jean-Claude Penchenat (1), qui est à l’origine de la création en France de la pièce avec le Théâtre du Campagnol en novembre 1990. Oubliée le plateau des Bouffes du Nord, nous sommes dans la maison de M. Zamaria, tisserand vénitien, qui attend ses invités pour fêter la fin du carnaval. On allume les chandeliers, bientôt on va dresser les tables, chacun s’active. Les histoires s’entrecroisent, on joue une partie de cartes, on dîne, la table devient une métaphore de la scène, où chacun se révèle, la soirée voit des intrigues se nouer, les couples se chercher. Des instruments de musique accompagnent la soirée dans un superbe travail d’ambiance, de décor (Aurélie Maestre), de lumières (Bertrand Couderc), de costumes d’époque (Caroline de Vivaise), de couleurs des tissus, et jusqu’à la chorégraphie de Bruno Bouché allègrement exécutée. L’interprétation chorale se coule dans la fluidité du texte et tout est parfaitement harmonieux dans cette magnifique soirée où la gaité force la mélancolie sans la faire oublier.
(1) Actes Sud-Papiers.
Une des dernières soirées de Carnaval * * * *
Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis bd de la Chapelle, Paris 10e. Tél. 01 46 07 34 50. www.bouffesdunord.com Jusqu’au 29 novembre. Tournée Théâtre des Célestins, Lyon, du 4 au 14 décembre, Albi, 17 et 18 décembre, puis en 2020 : Bayonne, Caen, La Rochelle, Istres, Draguignan, Béziers, Compiègne, Evreux, Pau, Colombes, Suresnes.
(Photo Brigitte Enguerand)