A travers l’histoire de trois pianistes, Jean-François Sivadier signe une pièce emballante sur l’art et l’amitié, en tournée actuellement à la MC 93.
Après Italienne Scène et Orchestre, Sivadier sème une nouvelle fois le bazar sur scène pour mieux interpeller notre rapport à l’art. Influencé par Le naufragé, le texte de Thomas Bernhard mettant en scène trois étudiants suivant les cours de Vladimir Horowitz, parmi lesquels un certain Glenn Gould, il a écrit Sentinelles, conçu pour trois acteurs dans la peau de jeunes musiciens amis. Le texte démarre par une conférence, le grand pianiste attendu doit répondre aux questions du public. Avec son interlocuteur, cela fait des années qu’ils ne sont pas revus… Retour en arrière sur les années de jeunesse et d’apprentissage et début d’un spectacle qui s’invente. Il était une fois trois garçons qui apprenaient le piano… Ils se rencontrent à l’adolescence, alors qu’ils étudient la musique. Admis dans une prestigieuse école en Angleterre, ils deviennent inséparables jusqu’à faire ensemble le voyage à Moscou, pour le prestigieux concours Tchaikovsky… On suit leur appréhension de la musique, leur évolution, leurs échanges passionnés. Ah les désaccords à propos de Mozart ! Les discussions sur le danger à vouloir séduire ! La théorie de la beauté ! Les débats sur l’utilité de l’art ! De leur vie personnelle, on ne saura rien, hormis pour l’un d’eux, Raphaël.
Variations sur la musique, l’art au cœur
Swan, Mathis (chez qui on devine rapidement le génie de Glenn Gould) et Raphaël, trois solitudes, trois caractères. Seuls face à leur art, ils ont besoin les uns des autres. A partir de ce projet singulier -parler de l’art-, Sivadier a écrit une pièce intime et foisonnante à la fois, où texte et présence sur le plateau sont soudés. Les pensées fusent et s’affrontent, dans des débats formidablement vivants, dans l’emballement de la jeunesse, de la passion pour leur art, leurs liens d’amitié, forts et fragiles. Pour certains, les traumatismes de l’enfance ressurgissent, sans pesanteur, et rien ne sera dit sur la fin de leurs relations, Sivadier laissant dans le flou les raisons de la désunion. Sur le plateau vide, pas de piano -les notes entendues sont des extraits d’œuvres jouées par des pianistes prestigieux-, un jeu de toiles, de projecteurs, des changements de costumes et une interprétation exceptionnelle, les comédiens faisant acte de création in situ. Ils pianotent dans l’air, leurs mains blanchies par une poussière fine, font valser les notes, leur corps exprimant par le geste et la danse la force vitale de la musique. Les tempéraments des comédiens collent idéalement à leur personnage : Vincent Guédon, le génie en devenir, Julien Romelard, Raphaël, le plus réaliste, Samy Zerrouki, Swan, fragile, introverti. Trois rapports à l’art pour dire son impérieuse nécessité. Une magnifique réussite.
Sentinelles * * *
MC 93, 9 bd Lénine, 93 000 Bobigny. Tél. 01 41 60 72 72. www.mc93.com Jusqu’au 23 décembre. Théâtre du Rond-Point, du 30 janvier au 10 février.
(Photo Jean-Louis Fernandez)