Rossignol à la langue pourrie

Agathe Quelquejay fait résonner la poésie rugueuse de Jehan- Rictus

C’est une poésie à nulle autre pareille, écorchée, éruptive, qui happe l’oreille et envoie des directs au cœur. Les mots sont triturés, parfois méconnaissables, tordus, réinventés, comme neufs. On ne les trouve pas toujours dans le dictionnaire, nul besoin de définition, on les comprend dans leur rudesse comme dans leur tendresse. Cette écriture exceptionnelle faite d’octosyllabes aux résonances d’un temps que l’on pourrait croire moyenâgeux, est celle de Jehan-Rictus (1867-1933), poète des laissés-pour-compte, auteur des célèbres Soliloques du Pauvre, qu’il allait jouer et chanter dans les cabarets de la Butte Montmartre. Guy-Pierre Couleau porte à la scène ces Récits d’amour et de misère en langue populaire issus du recueil Le Cœur populaire, paru en 1913. Jehan-Rictus y donne la parole aux pauvres et aux miséreux, aux invisibles et exclus du début du siècle dernier, qui pourraient être ceux d’aujourd’hui.

Un écrin de flammes

Les lumières de Laurent Schneegans dessinent sur les murs de la cave voutée le titre de chaque poème, qui raconte une histoire dont s’empare Agathe Quelquejay avec une vérité stupéfiante. On est transporté dans les bas-fonds de l’humanité, les tréfonds de l’âme humaine : situations déchirantes d’enfants maltraités, de fille perdue, de mère ayant abandonné son enfant, prière à notre-dame ou encore « berceuse à un pas-de-chance ». Cette langue faite d’apocopes, truffée d’argot du peuple, est d’une musicalité totale. Faite pour être dite, entendue, elle trouve ici avec Agathe Quelquejay une interprète exceptionnelle. La puissante et délicate comédienne joue les situations, comme chaque personnage, dans une interiorité profonde et fait intensément résonner cette langue d’une beauté fracassante, bouleversante.

Rossignol à la langue pourrie    * * *

Théâtre Essaion, 6 rue Pierre au Lard, Paris 4e. Tél. 01 42 78 46 42. www.essaion-theatre.com Jusqu’au 4 janvier 2025, puis du 10 janvier au 1er avril.