Quartett

La pièce de Heiner Müller, mise en scène par Jacques Vincey, actuellement à la Commune, poursuit sa tournée

« Valmont. Je la croyais éteinte, votre passion pour moi. D’où vient ce soudain retour de flamme.» La voix que l’on entend derrière un grand rideau blanc est celle de la marquise de Merteuil, s’adressant à Valmont, dans Quartett, la pièce du dramaturge allemand Heiner Müller (1981), en un condensé, et une réécriture, des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. « C’est ma peau qui se souvient.» L’exercice littéraire est brillant, qui concentre en quelques pages les étapes d’une descente vers la mort. Les seules indications de l’auteur sont : un salon d’avant la Révolution française et un bunker d’après la troisième guerre mondiale. Les interprètes, visages enfarinés, portant costumes d’époque blancs (Anaïs Romand) et perruques vertigineuses (Cécile Kretschmar), évoluent au milieu d’une débauche de tentures et voiles dorés. Les corps enfermés transpirent la mort du désir, hormis celui de la vengeance, l’inégalité des sexes, la rancœur et la haine. En un ultime jeu, les identités basculent, les deux libertins renversent les rôles. Ainsi Merteuil devient Valmont et celui-ci, la marquise de Tourvel et la jeune Cécile de Volanges, ses futures proies.

L’esclavage des corps

L’exercice sera révélateur, les joutes cruelles et sophistiquées riches en jeux de manipulation, de séduction et de perversité brillamment disséqués. « Continuons à jouer » dit Valmont. Pour ces joueurs addictifs, le combat est celui de deux fauves reniflant l’odeur du sang, pas question d’abdiquer. La mise en scène de Jacques Vincey, dans une scénographie assez envahissante (Mathieu Lorry-Dupuy), repose sur une rigoureuse direction d’acteurs, ponctuée par les interventions musicales d’Alexandre Meyer. Deux interprètes virtuoses portent à l’extrême la radicalité du texte. Dans le rôle de Merteuil, Hélène Alexandridis (Meilleure comédienne du Syndicat de la critique 2024) prête la finesse, la profondeur de son jeu et la clarté de sa diction au texte à la fois épuré et prosaïque. Rival à sa hauteur, Stanislas Nordey, Valmont adroit lanceur de flèches assassines et subtil dispensateur de trouble, joue très adroitement la décomposition des désirs et la brûlure des corps. Leur affrontement relève du grand art.

Quartett            * * *

La Commune, 2 rue Edouard Poisson, 93 300 Aubervilliers. Tél. 01 48 33 16 16. www.lacommune-aubervilliers.fr Jusqu’au 12 octobre. Tournée : Le Cratère, Alès, 25-26 novembre, L’Archipel, Perpignan, 29-30 novembre, Théâtre à Pau, 3-4 décembre, Le Théâtre, Saint-Nazaire, 10 décembre, L’Odyssée, Périgueux, 15 janvier 2025.

(photo Christophe Raynaud de Lage)