Une pièce de Dennis Kelly par le collectif La Cohue prend les spectateurs au piège de la violence. Reprise au Théâtre de Belleville.
Les spectateurs s’installent sous le regard des comédiens, tout autour du dispositif de jeu. La musique est entrainante, l’ambiance de la soirée s’annonce plutôt paisible pour Danny et Helen qui entament leur dîner. Mais soudain le frère de celle-ci, Liam, arrive brusquement. Il est en panique, couvert de sang. Ses explications sont confuses : il aurait cherché à aider un garçon blessé sur un trottoir. Par qui a-t-il été agressé ? Et pourquoi ne pas appeler la police, comme le suggère Danny ? Le doute s’installe, et avec lui le malaise, la peur. Le huis clos est tendu, avec des accès de violence. Le temps de trois actes, le suspense monte, Liam manifeste sporadiquement une fureur incontrôlable, la soirée vire au cauchemar. Et si l’effroi parfois se teinte de comique, c’est pour mieux replonger dans la violence. Le regard que porte le dramaturge Dennis Kelly (Love and Money, Occupe-toi du bébé, Boys and girls,…) sur la société britannique est noir et acéré. Ici, il laisse entrevoir, derrière le huis clos, un monde extérieur menaçant, un milieu humain sordide où le racisme fait partie du quotidien. « C’est à ça que se résume le monde : qui on connaît et qui on connaît pas. »
Entre réalisme et artifice
Le collectif La Cohue, créé en 2009 par un groupe de jeunes artistes caennais, s’y entend pour installer une zone de danger et remettre en cause et en perspective le regard sur le réel. Sophie Lebrun et Martin Legros plongent le public au cœur du sujet, l’interpelle et le prend à témoin. Ici, de la violence, ses effets et ses causes. De la responsabilité individuelle. Et de la fabrique des monstres que la société peut engendrer. Entre théâtre à vue (Liam s’asperge d’un liquide rouge pour simuler le sang, Danny fait couler de l’eau sur son visage en guise de larmes), installation d’un rapport de proximité (espace restreint incluant le public dans la situation présente, utilisation ponctuelle d’un micro), et lecture des didascalies, le collectif La Cohue maîtrise efficacement l’alternance entre artifice et réalisme. A l’instar de l’écriture tranchante de Kelly, la mise en scène est à vif et le spectacle, dans l’interprétation intense de Sophie Lebrun, Martin Legros et Julien Girard, d’une force saisissante.
publié en octobre 2020, spectacle vu dans la cabane du Monfort Théâtre
Orphelins * * *
Théâtre de Belleville, Passage Piver, Paris 11e. Tél. 01 48 06 72 34 16. www.theatredebelleville.com Du 3 au 28 décembre. A partir de 14 ans.
(Photo Virginie Meigné)