Au Lucernaire, Elya Birman et la puissance du souffle hugolien
Il s’appelle Gilliatt, il est le héros du foisonnant roman de Victor Hugo, épais chef-d’œuvre de la littérature française et grand classique du répertoire, publié en 1866. Une épopée humaine et maritime de près de 700 pages d’un lyrisme flamboyant où les vagues se déchainent, où les tempêtes font rage, qui entremêle l’épique et l’intime et s’ancre profondément dans la mémoire. Alors, comment porter une telle aventure à la scène sans la réduire ? L’adaptation par Elya Birman et Clémentine Niewdanski, qui signe la mise en scène du spectacle, réussit cette gageure en concentrant l’attention sur le personnage de Gilliatt. Cet homme solitaire, un peu étrange et mal aimé, marin dans l’île de Guernesey (où Hugo vit en exil quand il écrit le livre) aime en secret la jolie Déruchette. Lorsqu’un navire s’échoue dans les parages, la jeune fille, nièce de l’armateur, promet de se marier avec celui qui le sauvera. Alors Gilliatt se lance dans cette folle entreprise …
Une aventure intérieure
Sur le plateau de la salle du Paradis, une carcasse de bateau, plus exactement un assemblage hétéroclite d’escabeaux, de planches de bois, bidons et autres toiles de plastique évoquant un navire échoué. Un homme est là, qui chante Bonnie Dundee. Sur le sol, au milieu de flocons de neige, il découvre un nom inscrit : Gilliatt. Et Elya Birman, tour à tour narrateur et personnages, de nous embarquer dans le conte hors du temps et hors normes du poète Hugo. Le voici parti vers la haute mer, seul parmi les éléments déchainés, pour tenter de récupérer le moteur du bateau. La force d’évocation du récit prend alors une dimension stupéfiante et remplit l’espace. La mer est là, avec tous ses dangers. L’interprétation engagée du comédien donne à voir la force de la nature, des éléments, des éclairs, à entendre le maniement des outils, le grincement de la lime… Les voix off, le décor d’Estelle Gautier, les lumières de Florent Penide, la délicate création sonore de Thibaut Champagne, l’interprétation magistrale d’Elya Birman, tout restitue la puissance et le souffle hugoliens. Une performance impressionnante, à la hauteur du roman.
Les travailleurs de la mer * * *
Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris 6e. Tél. 01 45 44 57 34. www.lucernaire.fr Jusqu’au 17 mars.
(photo Filip Flatau)