Au Petit Saint-Martin, Catherine Hiegel donne une leçon de savoir-vivre revue par Jean-Luc Lagarce
Quand elle fait paraître ses Règles du savoir-vivre dans la société moderne (1889), la baronne de Staffe ne pouvait imaginer qu’un siècle plus tard, un jeune auteur de théâtre y puiserait l’inspiration d’un texte à l’ironie mordante qui fait certains soirs la joie des scènes de théâtre. C’est en 1992 que Jean-Luc Lagarce revisite le manuel de savoir-vivre de la baronne (l’auteure, qui n’était pas aristocrate, avait utilisé un pseudo) sur lequel il jette un regard décalé, amusé et caustique. Lagarce (1957-1995) va à l’essentiel, aux grandes étapes de la vie : la naissance, le mariage, la mort, chaque passage étant soumis au respect des règles de bienséance, car tout se passe dans la « bonne société » bourgeoise, tendance catholique. Entre naître et mourir, comment faire ? « Il n’est question que de suivre les règles et d’appliquer les principes pour s’en accommoder, il suffit de savoir qu’en toutes circonstances, il existe une solution, un moyen de réagir et de se comporter, une explication aux problèmes car la vie n’est qu’une longue suite d’infimes problèmes, qui, chacun, appellent et doivent connaître une réponse. » La vie serait donc simple, il n’y aurait qu’à suivre le mode d’emploi puisqu’il s’agit « de connaître et d’apprendre, dès l’instant déjà si mondain de sa naissance, à tenir son rang et respecter les codes qui régissent l’existence ».
Catherine Hiegel la drôle de Dame
Jean-Luc Lagarce glisse la subversion sous le tapis, elle n’en est que plus détonante. A chacun de la dénicher. Ce que fait Catherine Hiegel, la « Dame », qui la découvre sans peine, et en régale l’auditoire. Et d’appuyer finement, au passage, sur les règles édictées qui ne laissent pas une grande liberté à la gent féminine : hors le mariage, point de salut, point de statut social. Sur la scène, Marcial di Fonzo Bo a installé trois tables montées sur roulettes que la comédienne déplace au fil des chapitres de l’existence. Y sont déposés d’impressionnants registres, qu’elle ouvre et referme une fois les sacrosaintes règles énoncées. Sourire en coin, pince sans rire, sans s’éloigner du texte, elle manie drôlement les points de repère et les répétitions, maitrise subtilement toute les malices et incongruités des différents cérémonials. La voix assurée, le timbre clair, le ton neutre, elle énonce les préceptes d’un guide de vie, avec ses leitmotive incontournables, comme la mort « toujours possible, envisageable ». Seule en scène, et magnifique.
Les règles du savoir-vivre dans la société moderne * * *
Théâtre du Petit Saint-Martin, 17 rue René-Boulanger, Paris 10e. Tél. 01 42 08 00 32. www.petitstmartin.com jusqu’au 30 novembre.
(Photo Jean-Louis Fernandez)