Daniel Jeanneteau met en scène une pièce de Martin Crimp, inspirée des Phéniciennes d’Euripide
Elles occupent tout l’espace du plateau, plantées face au public, lançant des questions absurdes : « Si Caroline a trois pommes et Louis a trois pommes, combien d’oranges a Sabine ? » ou encore : «Et les morts peuvent-ils vivre ? » Déjà, les pistes sont brouillées : « Le sphinx, c’est des filles ». Formé par des jeunes filles de Gennevilliers, lycéennes, étudiantes ou travailleuses sans expérience de théâtre, ce chœur moderne est celui des Phéniciennes revues par Martin Crimp qui va faire ressurgir les grandes figures mythiques pour mieux interpeller le présent. Et revoici Jocaste, sortie du fond des âges, qui résume l’histoire familiale, la malédiction pesant sur Œdipe, son fils et époux, désormais enfermé. Elle est maintenant témoin de l’affrontement entre ses deux fils dans leur volonté de régner sur la ville. Et les frères de se faire la guerre et s’entretuer. « Où est le pouvoir absolu ? Bien sûr, c’est une drogue ». La violence est éternelle, sous toutes ses formes. «Les enfants sont violés par des hommes qui s’ennuient, tout simplement», dit Tirésias. Dans cet univers implacable, Ménécée, jeune fils de Créon, prêt au sacrifice pour le bien de tous, apporte une lueur de pureté. Le jeune garçon déclarant « je suis un homme » est bouleversant.
La communauté du plateau
Ce reste que « vous connaissez par le cinéma » est évoqué, en arrière-plan, par une référence au film de Pasolini Œdipe roi avec Silvana Mangano, ou quelques images de Jason et les argonautes rapidement exposées. Plus profondément, ce tissage de l’archaïque et du contemporain est singulièrement percutant qui montre des femmes regardant un monde d’hommes se détruire sous l’œil des dieux. « Où est le sens ? » Riche de multiples questionnements, la double confrontation des mondes et des époques est portée avec une belle énergie par la communauté formée sur le plateau par les huit jeunes filles du chœur, à la présence marquante (dirigées par Elsa Guedj), et des comédiens aguerris : Philippe Smith, Axel Bogousslavsky, Yann Boudaud, Quentin Bouissou, Jonathan Genet, Solène Arbel, ardente Antigone. Impressionnante Jocaste, Dominique Reymond module la langue, à la fois triviale et poétique, de Martin Crimp traduite par Philippe Djian. Son phrasé, les changements de registre de sa voix, les mouvements de son corps, tout est subtilement composé par la comédienne. La mise en scène de Jeanneteau, elle, est accompagnée en finesse par le travail sonore de Sylvain Cadars et la musique d’Olivier Pasquet. Un spectacle fort.
Le reste vous le connaissez par le cinéma * * *
T2 G, 41 avenue des Grésillons, 92 230 Gennevilliers. Tél. 01 41 32 26 10. www.theatre2gennevilliers.com Jusqu’au 1er février. Du 7 au 15 février, TNS Strasbourg, du 10 au 14 mars, Théâtre du Nord, Lille, le 20 mars, Théâtre de Lorient.
(Photo Mammar Benranou)