Emmanuel Meirieu adapte à la scène le roman de Svetlana Alexievitch. Avec sept interprètes stupéfiants.
Le plateau est jonché de papiers, journaux épars et détritus, spectacle désolant d’après un cataclysme : la fin du communisme ou Tchernobyl, même désastre ? Etat des lieux d’un désastre constaté, relaté par Svetlana Alexievitch (prix Nobel de littérature 2015) dans La fin de l’homme rouge au terme de centaines de témoignages recueillis quarante années durant dans ce qui était l’URSS, et l’après. « Ce qui m’intéresse, c’est le petit homme, le grand petit homme car la souffrance le grandit. Dans mes livres, il raconte lui-même sa petite histoire, et en même temps, il raconte la grande histoire. » La fin de l’homme rouge fait résonner les voix des témoins brisés de l’époque soviétique, voix suppliciées des goulags, voix des survivants et des bourreaux, voix encore des orphelins d’utopie qui ont cru que « ceux qui ne sont rien deviendraient tout. » L’auteure aime les voix humaines solitaires. Cette passion est partagée, relayée par Emmanuel Meirieu, pour qui le théâtre donne une présence, une vérité au témoignage. « Ces personnages devenus des êtres vivants, humains, crèvent le quatrième mur pour se confier à nous… C’est nous qu’ils regardent, c’est à nous qu’ils parlent. » Encore plus quand il s’agit de témoignages vécus.
Histoires vécues
Les sept témoignages retenus par Emmanuel Meirieu sont comme autant de coups de poing : ceux de la mère dont le fils s’est suicidé, du soldat rentré d’Afghanistan, de la femme d’un soldat irradié à Tchernobyl, de la fille d’une femme incarcérée dans les années 40 et qui ne reconnaît pas sa mère,… A la manière du metteur en scène, devenue sa marque, approfondie spectacle après spectacle, c’est-à-dire les récits s’enchaînant, dits face au public, par des comédiens plantés droit, faisant corps avec le récit. L’intensité est maximum. Sur la tenture murale grisâtre, défilent des images de déboulonnage des statues, de paysages, de films (le bal de Guerre et paix !) et des visages des témoins. Le son (Raphaël Guénot) est finement réglé. Pour finir, André Wilms, magnifique vieux militant, témoigne de sa voix magnétique la nostalgie, le regret d’une utopie, sa foi inébranlable dans l’idéal communiste. La voix de Catherine Hiegel (Svetlana Alexievitch) introduit et clôt ce théâtre de témoignages restitués par sept comédiens exceptionnels d’intensité et d’engagement dans le récit : Anouk Grinberg, Stéphane Balmino, Evelyne Didi, Jérôme Kircher, Xavier Gallais, Maud Wyler, André Wilms, bouleversants passeurs de mémoire.
(photo Nicolas Martinez)
La fin de l’homme rouge * * *
Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis bd de la Chapelle, Paris 10e. Tél. 01 46 07 34 50. www.bouffesdunord.com Du 12 septembre au 2 octobre.