Denis Lavant interprète Krapp, le vieillard solitaire de Beckett, dans une mise en scène de Jacques Osinski
Les plus grands comédiens l’ont interprété : David Warrilow, Serge Merlin, Robert Wilson, Jacques Weber, bien d’autres encore ont fait tourner le magnéto de Krapp, né sous la plume de Beckett en 1958. Après Cap au pire, impressionnant soliloque beckettien joué il y a deux ans, c’est au tour de Denis Lavant d’être à la place de Krapp, le personnage de La Dernière bande, à nouveau sous la direction de Jacques Osinski. Texte court qui trouve ici, avec l’interprétation de Denis Lavant, une nouvelle durée. Tout commence par un très long silence, temps de la solitude, du vide de l’existence de Krapp, de son évidente « viduité ». L’homme est assis à son bureau. Seul, en attente. Comme chaque année lors de son anniversaire, il enregistre sur des bandes magnétiques ce qui a marqué son année, ce qu’il veut retenir. C’est l’occasion aussi de ressortir d’anciennes bandes et d’écouter des bribes de sa vie passée. Les bobines sont numérotées, rangées dans des boites également numérotées. L’homme en sort une au hasard, la 5, rangée dans la boite 3, puis une autre. Le magnétophone tourne, la voix d’hier rencontre celle, vieillie, d’aujourd’hui.
Interrogation sur le temps
Pour ne pas sombrer dans la mélancolie, ne pas être happé par le néant, ou le regret d’une histoire d’amour ratée, Krapp se réfugie derrière l’autodérision. Troublante évocation d’une scène dans une barque avec la femme aimée, moments de vie où le passé tient plus de place que l’avenir, que le présent même… Il écoute sa voix : « qu’est-ce que c’est aujourd’hui, une année ? » De cette grande interrogation sur les temps de la vie, Denis Lavant livre une vision aigüe. Comme à son accoutumée, tout entier dans le personnage, il livre une interprétation troublante, montrant un vieillard maniaque et ridicule, antipathique et pitoyable, tragique et comique, en fait, assez justement, un pauvre clown, une marionnette démantibulée. Il force le silence, occupe le plateau comme l’appartement de Krapp, va, sort, revient. Tirant parfois trop fort sur la ficelle clownesque (l’épisode de la banane sortie d’un tiroir, épluchée, avalée, devient un numéro démesurément exagéré et agaçant), le comédien est cet homme en bout de course, Krapp, dans la réalité du temps.
(spectacle vu au Théâtre des Halles, à Avignon en juillet 2019)
La dernière bande * *
Théâtre 14, 20 avenue Marc-Sangnier, Paris 14e. Tél. 01 45 45 49 77. www.theatre14.fr Jusqu’au 25 juin.
(Photo Pierre Grosbois)