La dernière création de Pauline Bureau remet en lumière le combat pour le droit à l’avortement
Son nom est parfois oublié et pourtant, dans les années 70, son procès, et les manifestations qui l’ont accompagné, ont conduit à l’instauration d’une nouvelle loi capitale pour les femmes, celle du droit à l’avortement. Pauline Bureau, dont le théâtre croise les liens entre les vies intimes et la grande histoire (Mon cœur, inspiré du scandale du Mediator) est allée à la recherche de Marie-Claire Chevalier, accusée d’avortement illégal en 1972. Sous les traits de Martine Chevalier, c’est la Marie-Claire actuelle, celle de la soixantaine, qui revit les événements passés, le sentiment de honte. Dans sa mémoire, il y a des blancs, mais c’est dans ces manques qu’elle trouve son identité. La femme d’aujourd’hui regarde l’enfant qu’elle a été. « Pour toujours j’ai 15 ans… » La jeune fille qu’elle était apparaît… On est en 1971, c’est la fin de l’enfance, la mode du hula hoop, les premières sorties avec les garçons. Violée par un copain, elle est bientôt enceinte. Sa mère finit par trouver une « faiseuse d’anges ». Arrêtées pour crime (l’avortement est passible de la cour d’assises), les deux femmes font appel à l’avocate Gisèle Halimi. Celle-ci va faire de leur procès une tribune accusatrice de la loi de 1920. Il a lieu en 1972, la loi Veil sera adoptée en 1975. Avec une belle acuité doublée d’une sensibilité aiguisée, Pauline Bureau retrace, parallèlement à l’histoire individuelle de Marie-Claire, le vaste mouvement qui a conduit à changer la loi. Le procès dépasse le cadre personnel, il devient un enjeu pour toutes les femmes.
La force des témoignages
L’avocate fait appeler à la barre des personnalités, politique comme Michel Rocard (épatant Alexandre Pavloff) ou scientifique comme Jacques Monod. Le premier donne les chiffres : chaque année, 5 000 femmes meurent des suites d’un avortement clandestin, et fait le calcul : depuis que la loi existe, 250 000 en sont mortes. Le second rappelle la définition de la vie. Simone de Beauvoir (parfaite Danièle Lebrun), en philosophe, revendique le droit des femmes, Delphine Seyrig dénonce les inégalités. Leurs témoignages s’insèrent parmi ceux de femmes humbles, la voisine amie, l’avorteuse, une mère célibataire. Pauline Bureau s’est appuyée sur les minutes du procès pour faire entendre ces voix de l’époque, mettre la lumière sur le courage des femmes, la solidarité. La scénographie très habile d’Emmanuelle Roy joue sur plusieurs niveaux, de l’appartement familial s’ouvrant sur d’autres pièces et sur l’extérieur, au bureau de l’avocate puis à la salle d’audience du tribunal. L’histoire intime, la vie privée sortent des murs, sont exposées, relayées par les médias. Défilent les noms des signataires du manifeste des 343 (publié en 1971), des images des manifestations. Hormis Françoise Gillard, sobre et déterminée dans le rôle de Gisèle Halimi, les autres comédiennes incarnent différents personnages, toujours parfaitement justes : Martine Chevalier, sensible, magnifique, Claire de La Rüe du Can, imprégnée d’enfance et de douleur muette. Coraly Zahonero, digne mère courage. Un spectacle formidablement construit et fort en émotion.
Hors la loi * * *
Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, Paris 6e. Tél. 01 44 58 15 15. www.comedie-francaise.fr Jusqu’au 7 juillet.