« Je suis vous tous qui m’écoutez »
Maison Jean Vilar, Place de l’Horloge, Montée Paul Puaux, 84 000 Avignon. Tél. 04 90 86 59 64. www.maisonjeanvilar.org Jusqu’au 24 juillet puis du 3 septembre au 23 mars 2019.
Jeanne Moreau n’avait pas vingt ans quand elle a fait sa première apparition au Festival d’Avignon, l’année de sa création, en 1947, et elle a accompagné son histoire – Le Cid, Le prince de Hombourg (1951), Lorenzaccio (1952), La Célestine (1989), Quartett (2007), une pièce d’après Flavius Josèphe avec Amos Gitaï dans la carrière de Boulbon (2009)- jusqu’en 2011, avec Le condamné à mort de Jean Genet, en compagnie d’Etienne Daho. Un an après sa disparition, la Maison Jean Vilar lui consacre une très belle exposition, placée sous le commissariat de Laure Adler, qui l’a souvent rencontrée et interviewée. Dès l’entrée, la comédienne est là, d’abord sur une grande photo, le visage à demi caché par un rideau rouge, souriante, puis dans le vide de sa loge, « salle d’attente et aire d’envol vers un autre monde ».
On ne dira jamais assez l’importance des professeurs de français. Parce qu’elle voulait « vraiment échapper à la condition humaine », l’un d’eux lui conseille d’être comédienne. Très tôt, elle prend des cours de théâtre, en cachette de sa famille. Après le Conservatoire, elle est engagée à la Comédie-Française, mais femme libre déjà, la quittera en 1952 pour suivre l’aventure du TNP au côté de Jean Vilar et de Gérard Philipe (photos d’Agnès Varda). Son « désir de piétiner les planches » la conduit vers le théâtre public comme vers le théâtre privé (La machine infernale de Cocteau, avec Jean Marais, La chatte sur un toit brûlant, au Théâtre Antoine, La chevauchée sur le lac de Constance, en 1973, avec Delphine Seyrig, Gérard Depardieu,… Lulu, mis en scène par Claude Régy, jusqu’au Récit de la servante Zerline, par Grüber en 1988).
Un univers sonore omniprésent
Le parcours est riche, dynamique, émouvant, porté par la scénographie de Nathalie Crinière et Maud Martinot , qui déroule la carrière de Jeanne Moreau à travers de nombreux documents originaux, photos, costumes, correspondances, extraits de presse, programmes, enregistrements, captations vidéo, mêlés au dispositif sonore conçu par Christian Sebille, directeur du Centre national de création musicale de Marseille. Au fil des pas, les sons se télescopent, se mélangent, dessinent le paysage d’une vie. «Ma voix, elle est à moi », disait l’actrice. De salle en salle, cette voix guide le visiteur, la comédienne est présente. Elle dévoile de sa nature profonde, de son intimité lors d’entretiens, d’émissions de radio ou de télévision. Différents niveaux d’écoute conduisent l’exposition : au fil conducteur du parcours sonore s’ajoutent des « arrêts sur images », points d’écoute associés à une pièce, bandes sonores isolées sous casques ou cloches (merveilleux témoignage de son partenaire de La servante Zerline racontant comment Jeanne avait fini par imposer sa vision du personnage). Et la chanson ? Elle n’est évidemment pas oubliée. Une salle lui est réservée, un micro est là, prêt pour l’enregistrement. Ne manque que l’interprète… On l’entend.
(lejdd.fr le 20 juillet)