Et jamais nous ne serons séparés

 

Au T2G, à Gennevilliers, une pièce de Jon Fosse avec Dominique Reymond, éblouissante

C’est lorsqu’il était le scénographe de Claude Régy que Daniel Jeanneteau a découvert Jon Fosse, lors de la création de Quelqu’un va venir, en 1999. A son tour, il met en scène aujourd’hui, avec Mammar Benranou, un texte de l’écrivain norvégien, sa deuxième pièce. Dire l’indicible, ou du moins tenter d’y approcher, est au cœur de l’écriture du Prix Nobel de littérature 2023 pour qui « chaque texte a sa musique, son âme ». Et c’est bien à l’audition d’une partition sonore que le spectateur est convié : sporadiquement associé à une composition musicale d’Olivier Pasquet, le texte déroule ses variations et répétitions. C’est tout d’abord un bizarre petit rire qui fend le silence, émis par la femme qui est sur scène, assise sur un canapé. Elle attend un homme et ne sait s’il va venir. Elle l’espère et parfois non, bien dans son quotidien quand elle parle de ses objets, passant de l’irréalité de la situation au prosaïsme : « je vais bien j’ai mes objets ». Cet homme est-il mort ? Simplement parti ? Le texte n’explicite rien, laisse planer le doute : « il a disparu comme dans la mort ». Lorsque l’homme arrive, leurs paroles ne feront que se croiser. Troublants vertiges de l’écriture qui glisse du passé vers le présent et croise les solitudes.

Une interprète éblouissante

« Plus jamais je ne dois attendre » ou bien « Je suis grande forte et belle », ou encore « Seule je resterai ». Dominique Reymond habite la scène et déroule, tels des mantras, les phrases sèches et courtes de Jon Fosse, donnant à chacune une infinité de variations, d’ambiguïtés, et à chaque syllabe une couleur unique. Passant du dramatique au drolatique comme du concret au fantomatique, son interprétation subjugue et fascine. C’est un travail admirable, d’une profonde rigueur et d’une haute exigence jusque dans sa fluidité. Avec ses partenaires, Yann Boudaud et Solène Arbel, elle porte haut l’étrangeté de la pièce qui atteint des sommets, se jouant de ce qu’elle pourrait avoir d’hermétique. « Je n’attends pas, je suis là seulement et je ne veux pas être ailleurs ». Au spectateur de se couler dans ce jeu avec la temporalité, de projeter son imaginaire ou ses fantasmes au gré des répétitions en boucles de ce texte sur l’absence, la disparition, la solitude. Dans ce théâtre poétique et musical, rien ne se passe ou si peu, et pourtant tout est là, car « la vie n’est qu’attente ».

Et jamais nous ne serons séparés     * * *

T2G, Théâtre de Gennevilliers, 41 avenue des Grésillons 92 230 – Gennevilliers. Tél. 01 41 32 26 26. www.theatredegennevilliers.fr Tournée : Le Quai, Angers, 18 et 19 novembre, Comédie de Valence, 16 et 17 décembre, Bonlieu, Annecy, 11 au 13 mars 2026, Le Méta, Poitiers, 18 et 19 mars, Théâtre des 13 Vents, Montpellier, 8 au 10 avril, Comédie de Reims, 28 au 30 mars.

(photo Jean-Louis Fernandez)